A l'image du personnage joué par le magnétique Henry Fonda, architecte de profession, le film de Lumet est une œuvre protéiforme aux multiples niveaux parfaitement imbriqués les uns dans les autres, il se dégage de l'œuvre un sentiment d'unité et d'accomplissement, comme si chaque élément qui la compose ne pouvait être agencé d'une quelconque autre façon.
La mise en scène. Un modèle du genre, d'autant plus éblouissante qu'elle se limite à une pièce (deux avec une petite scène cantonnée dans la salle d'eau). Chaque mouvement de caméra est justifié, un plan séquence pour suivre une narration rebondissant entre chaque juré, un plan fixe pour mettre en valeur le jeu d'un acteur, une perspective pour souligner les différents niveaux de lecture, un plan large (lors de la fabuleuse scène où chaque juré quitte la table un après l'autre devant le discours raciste d'un des leurs) pour appuyer sur une idée etc... Cette mise en scène, totalement dédiée à la valorisation des idées, des dialogues, de la narration en général, ne s'écarte jamais de son objectif. Epurée à l'extrême, elle se concentre sur son sujet sans jamais s'en écarter. Lumet met sa caméra au service unique de son récit, il porte un regard objectif et sans fioriture.
11 contre 1
Autre aspect fascinant, cette lutte froide et méthodique pour convaincre. Des jurés, on ne sait rien, il n'ont pas d'identité. Il sont délimités par une profession, une anecdote de leur vie, une motivation pour sortir au plus vite, un trait de caractère , une idéologie etc... Eux aussi sont épurés à l'extrême, caractérisés par un trait ou deux, mais tous sont identifiables, reconnaissables, et dès leur première intervention. Comme une chute inexorable de dominos, chaque certitude va s'effondrer pour laisser germer le doute légitime. Tout s'enchaine parfaitement. Peut-être trop d'ailleurs. Et c'est bien là le seul reproche que je peux opposer à cette mécanique de précision. En effet, tout s'emboite trop idéalement, chaque personnage apporte sa pierre à l'édifice pour que, au final tout s'ajuste à la perfection. Même si un sentiment de cohérence se dégage de l'ensemble, j'ai regretté que le hasard en soit exclu. Il y a dans cette écriture une précision mécanique, analytique, qui condamne l'incertitude quant à la conclusion du film. On sait comment ça va se finir dès le premier domino tombé.
Les thématiques abordées sont pluriels et traitées avec une redoutable efficacité malgré les moyens déployés. Racisme, éducation, filiation, lutte des classes, égoïsme, liberté, politique, dynamique de groupe, domination, soumission, violence etc... Le film démêle avec une fluidité désarmante les fils qui tissent ce canevas à l'apparence inextricable. Une autre superbe idée narrative est cette façon de prendre connaissance des moments forts du procès par les témoignages des jurés. Chacun d'eux apporte de l'importance à un élément en adéquation avec sa propre expérience, sa propre personnalité. Le comptable, méthodique, pragmatique, se fixe sur une analyse visuelle et chronologique. Le raciste, sur la "nature" du coupable, Le vieillard, sur un détail insignifiant digne de Sherlock Holmes etc...
Je pourrais disserter des pages entières sur ce film tant il y a matière à le faire. Sur cet architecte paradoxale qui déconstruit les certitudes, cet homme au chapeau pour qui le base-ball est plus important que la vie d'un inconnu, pour ce commercial qui vit de convaincre les autres, lui si influençable, ce père rageur, qui voit dans ce coupable un fils qui... Tant à dire.
Un film étourdissant car il nous implique totalement et condense en 90 minutes ce que des kilomètres de pellicules d'autres films à la chaine n'arrivent même pas à effleurer.