D'emblée, je précise : je n'ai pas encore lu les critiques de mes très chers éclaireurs, alors mea culpa pour les redits.
Tout commence avec un juge apathique rappelant nonchalamment les devoirs et les implications des jurés devant la Cour et la Justice, ainsi que la gravité maximale de l'accusation de meurtre. Tout le film se déroulera ensuite (les deux minutes du début et les deux minutes de la fin mises à part) dans la pièce de délibération des douze jurés pour décider si le jeune gamin d'à peine dix-huit ans est coupable ou non d'avoir poignardé son père dans le torse avec un cran d'arrêt. L'histoire aurait pu être simple et rapide, tous les faits sont contre le gamin, les témoins à charge sont nombreux, tout semble l'accuser. Mais un homme parmi les douze jurés va émettre une hypothèse, un simple doute : et si, en réalité, le gamin était innocent ? A partir de là, à onze contre un, cet homme, campé par un Henry Fonda resplendissant, va lutter pour la vérité.
Et l'ensemble de l'intrigue tourne autour de cette recherche : "The true administration of justice is the firmest pillar of good government" affirme le premier plan du film, celui du fronton de la Cour Suprême de New-York, posant dès le début la quête des douze jurés. Sidney Lumet profite de la présence de ces douze hommes pour dépeindre une société américaine assez peu concernée par la justice, mais seulement ignare par commodité. Cette société est celle de ces onze hommes votant "coupable" parce qu'ils n'ont pas d'avis, qu'ils sont pressés, poussés par les autres, parce qu'ils sont racistes ou encore boursouflés de préjugés. Mais fort heureusement, cette société est aussi celle du seule qui vote "non coupable" dès le début, celle de l'homme qui se pose des questions raisonnables sur les événements et la façon dont les hommes peuvent légèrement transformer la réalité afin qu'elle leur convienne.
Sidney Lumet fait preuve d'une maîtrise totale, la mise en scène est particulièrement aboutie : le huis-clos ne laisse que peu de possibilités aux mouvements de caméra, c'est pourquoi les deux premiers plans en-dehors de la salle de délibération sont parfaitement réussis (travelling bas-haut sur le fronton de la Cour suprême et sa devise, travelling haut-bas à l'intérieur du tribunal sur les hommes supposés réaliser cette devise). Une fois le huis-clos établi, la caméra travaille la perspective : lorsque Henry Fonda cherche à convaincre un juré, celui-ci est au premier plan tandis que celui-là est en arrière plan, exprimant son point de vue. Plus encore, pour convaincre le dernier juré de passer de coupable à non-coupable, Fonda est filmé en contre-plongée tandis que le dernier juré, Lee J. Cobb (dont la performance est mémorable), est filmé à auteur d'homme, assis ; Henry Fonda est alors filmé s'asseyant, se mettant par là-même au niveau de Lee J. Cobb et de sa position argumentative, dénotant son respect pour l'homme et effacer toute supériorité qu'il pourrait avoir. Car la vérité n'est pas détenue par Fonda, il ne s’enorgueillit pas de sa position, il le dit à plusieurs reprises : il ne sait pas ; simplement, il doute.
Et si la caméra est parfaitement maîtrisée, les dialogues le sont tout autant : la gravité se fait sentir à chaque réplique, l'atmosphère est lourde et chaude mais d'une chaleur tropicale étouffante. L'un des exemples qui m'a le plus frappé est quand le raciste dit que de toute façon le gamin est coupable et puis, regardez, il ne parle même pas un bon anglais ("he don't speak a good english") ; ce à quoi un des jurés rétorque : "He doesn't speak good english". Ce passage est proprement jouissif, Lumet parvient très justement à ridiculiser en une réplique une position qui semblait dominante cinq minutes auparavant. Il y a des dizaines d'autres exemples, tous aussi parlant.
Vous seriez ici en droit de me dire, c'est bien joli tout ça, mais des films avec une excellente mise en scène et de très bon dialogues, ce n'est pas ce qui manque ! Je vous répondrais alors que ce qui ne manque pas dans 12 hommes en colère en tout cas, c'est la réflexion, la réflexion sur la valeur d'une parole humaine, sur ses incidences, sa portée véridique. Le sujet est lourd et grave car il concerne la justice et la vie d'un homme, pourtant ici pas de plaidoyer contre la peine de mort, mais bien une considération de tout ce qu'une telle sentence implique. Alors, petit à petit, de onze voix contre une, les hommes pensent et réfléchissent ; dix contre deux, puis huit contre quatre. Tout cela parce qu'un homme a dit qu'il n'avait pas raison, mais que peut-être ce que semblait dire les faits était biaisé. Un homme qui pense que l'intime conviction n'est pas quelque chose que l'on prend à la légère. Un homme suivi d'abord par un vieil homme, qui ne relancera la discussion que parce qu'il a envie de comprendre pourquoi quelqu'un n'est pas d'accord et qui permettra l'émergence de la vérité. Au fond, tout repose sur ce vieil homme, plus que sur Fonda, prêt alors à s'incliner face à la majorité.
Je conclurais sur ceci : un des témoins à charge est un vieil homme lui aussi, voisin de l'appartement dans lequel a été commis le crime. Le vieux juré tente de questionner ce témoignage en affirmant que lorsque l'on est vieux et que l'on a passé une vie sans intérêt, on cherche alors à attirer l'attention. C'est pourquoi le témoignage du vieil homme peut être considéré comme biaisé, uniquement fait pour qu'enfin quelqu'un le remarque. Et je ne peux m'empêcher de penser qu'il en va de même pour le vieux juré, qui n'a cherché qu'à attirer l'attention en permettant à Henry Fonda de continuer à s'exprimer. La vie d'un gamin n'a donc cessé de reposer dans la recherche d'attention d'un vieillard, et ça, ça c'est beau.