Pour ma première critique, je m'attaque à un classique de la littérature gothique que je n'ai pas lu, mais dont le récit m'est familier, tant ce dernier est inscrit dans l'imaginaire collectif. Il semblerait toutefois que l'adaptation soit assez libre, aux dires de certains. Mon objectif n'est pas de commenter l'adaptation d'un livre, mais le film en lui-même.
On retrouve dans ce film nombre de topic du cinéma expressioniste des années 20, que ce soit au niveau de la mise en scène dont les décors urbains battus par la pluie nocturne, l'éclairage très contrasté et ce goût pour les infâmes frimousses en gros plan hurlent cette filliation , mais également au niveau des thématiques du double et de la folie qui ne sont pas sans rappeler Le cabinet du docteur Caligari et Metropolis. Force est de constater que bon nombre de ces codes se retrouve également dans le reste du cinéma gothique des années 30/40, mais il serait négligent d'oublier les apports de ce genre, notamment dans le questionnement sur les limites déonthologiques de la science ou dans le parrallèle qui s'installe tout naturellement entre la figure métaphorique du monstre et la condition humaine. En ce sens, Dr Jekyll et Mr Hyde tient autant de Fritz Lang que de la Hammer, ce qui en fait une oeuvre riche pour se figurer ce que pouvait être, du moins en partie, le cinéma d'antan.
L'introduction nous plonge directement dans la vue subjective du bon docteur Jekyll occupé à pianoter du Bach avant de se faire interrompre par son majordome qui lui rappelle qu'il a un cours à donner. La position sociale du professeur est également soulignée par la vue subjective qui permet de ressentir au mieux le regard adulatif des élèves.
Cette vue a également pour deuxième fonction de retarder la découverte du visage de Jekyll pour ne le montrer aux spectateurs que par l'intermédiaire d'un miroir du manoir, et donc via les propres yeux du docteur. Il est d'ailleurs tout aussi vrai d'affirmer que le spectateur assiste à l'intégralité du film en épousant le point de vue de Jekyll, traversant ses frustrations, ses découvertes et ses peurs. La relation au monstre métaphorique évoquée plus tôt prend alors sens, et l'on se prend à dessiner les contours de ce que serait notre Hyde personnel. Il est à noter que la découverte de Hyde et le dénouement sont également montrés via une vue subjective, pour faire écho à l'indroduction dans le premier cas et pour mettre l'emphase sur l'identification à Jekyll dans le second, grace à ce doigt tendu et ce regard qui brise le quatrième mur, et ainsi désignent le spectateur.
D'autres scènes que la présentation de Hyde et Jekyll se font appel entres elles, par exemple les scènes des portes-jaretelles, qui passe de la timidité attachante de Jekyll embrassé de force à la brutalité animale de Hyde embrassant de force, ou encore les déclarations d'amour, d'abord avec élégance dans un jardin idyllique campé par un magnifique décors puis monstrueusement dans une taverne crasseuse. De façon générale, Dr Jekyll et Mr Hyde est une oeuvre de contraste, d'opposition.
Entre le Bien et le Mal. Entre fidélité et oisiveté sentimentale. Entre classes sociales dans lesquels les normes aspirent soit à dissimuler sa joie lors de l'annonce d'un marriage soit à enlever son haut de forme pour profiter de la pluie sur son visage. Entre la part de moi et de surmoi selon les classes sociales comme dirait Freud, en somme. Entre générations y compris au sein du même milieu social par l'opposition de Jekyll à son futur beau-père. Entre la science contrôlée, peut-être trop, du docteur Lanyon et la volonté déraisonnée d'expérimenter au delà des limites de Jekyll.
Les quelques split-screens du film, méthode relativement rare pour l'époque, illustrent bien ce propos, avec l'exemple marquant de celui montrant à moitié la femme blessée par la présence de Hyde et à moitié celle blessée par l'absence de Jekyll. La période Victorienne, révolution économique, sociale et technique, éclairée avec de forts contrastes forme un terreau fertile pour ce genre de dichotomie.
Les transformations ont le bon goût d'être différentes, depuis la première qui jaillit d'une surimpression chaotique où se mèlent haine pour les interdits sociaux de la haute société et pulsions primaires(éléments récurents dans les discours et comportements de Hyde, qui hait tout particulièrement Jekyll) jusqu'à l'avant dernière beaucoup plus sobre, en une ombre menaçante qui glisse le long du mur à la manière d'un Nosferatu. La lumière et les choix de mise en scène déjà cités, le maquillage redoutablement efficace, les décors et leur profondeur ainsi qu'un très joli double basculement de point lors d'une scène clé parachèvent de donner un réel cachet visuel au film.
Mentions honorables pour le personnage féminin fort qu'est Muriel et pour la scène de rédemption de Jekyll qui est somptueuse, et introduit un élément usuel de la littérature moderne: l'homme face à Dieu qui ne lui répond pas. On pourra hélas reprocher au film un emploi parfois excessif de gros plan, qui pour certains fonctionnent à merveille mais sonne rapidement comme un manque d'inspiration, un symbole final qui manque de subtilité ou un montage maladroit lors des scènes d'action, ce qui en soit n'est pas rédibitoire pour un film de 1931. La performance d'actrice de Miriam Hopkins est aussi à ranger aux côtés des défault du film. Le ressenti global reste au demeurant bien rythmé et très agréable.