Sur un canevas de Robert Louis Stevenson largement éculé au cinéma, cette version de Docteur Jekyll et Mister Hyde par Rouben Mamoulian recèle de nombreuses surprises qui en font un film vraiment recommandable. On se situe au début du parlant, en plein dans l'ère du pré-code, et l'histoire du célèbre médecin de Londres prend des allures de critique sociale incroyablement vive pour égratigner la société victorienne bâtie sur la compartimentation, que ce soit des classes ou des émotions. Le récit de Docteur Jekyll et Mister Hyde se transforme ici en une dénonciation de l'hypocrisie manifeste qui structure une société bâtie sur les non-dits, en se transformant peu à peu en un film dont les pulsions latentes ont muté en un érotisme frontal très étonnant. La jambe nue de Miriam Hopkins se balançant hors du lit, avec son porte-jarretelles, est une image très forte et représentative de ces aspects-là.
Il est également rare, à l'époque, de voir les moyens techniques mis au service d'un récit de manière efficace, non artificielle. Le recours à la vision subjective est très surprenant, un peu rouillé il est vrai (les mouvements censés accompagner les déplacements du protagoniste ne sont pas naturels) mais à la fois novateur et sensé dans l'immersion provoquée. Même chose au sujet du split screen, dont la technique surprend énormément en 1931.
On parle beaucoup de bien et de mal, au sein de ce Forbidden Hollywood érotisé, mais aussi de partie morale et de partie bestiale sommeillant en chacun de nous, comme un compte-rendu de la psychanalyse de l'époque (une scène présente un discours de type universitaire abondant en ce sens). Bon, beaucoup plus surannée, la capacité à dissocier chimiquement le bien du mal dans le psychisme humain... La bestialité de Hyde est à ce titre particulièrement violente, un être très menaçant lors de ses rapports avec le personnage d'Ivy — qui d'ailleurs éclipsent ceux avec Muriel (interprétée par Rose Hobart), bien trop terne en comparaison. Le sous-texte libidinal autant que les sévices sexuels dégagent une atmosphère de violence et de stupre très marquante encore aujourd'hui. Et au final, par opposition, il est presque drôle de voir Jekyll mourir d'impatience pour pouvoir coucher avec sa dulcinée devant la figure paternelle extrêmement rigide vis-à-vis du mariage et de ses obligations.
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