Quelque part au cours de la production du Parrain 3e Partie, Francis Ford Coppola se voit proposer un script qui titille son attention, puisqu'il s'agit ni plus ni moins que l'adaptation d'un des livres préférés de son enfance : Dracula de Bram Stoker.
Un projet qu'il réalise avec une passion certaine, souhaitant ne pas tomber lui non plus dans une forme de redite, particulièrement autour de l'antagoniste éponyme, et privilégiant une production à l'ancienne, recluse en studio avec des décors intérieurs et servie par des effets spéciaux en majorité pratiques, en contraste avec la mouvance d'alors motivée par le succès de films comme Jurassic Park et Terminator 2.
Sorti en 1992, le film est globalement bien accueilli, salué pour ses partis pris et sa générosité artistiques, depuis considéré comme un marqueur important du cinéma d'horreur occidental, aux côtés de films comme The Shining ou The Thing.
Après l'avoir revu dans le cadre de cette rétrospective, je peux dire que mon avis s'est grandement amélioré.
Je l'avais découvert tardivement : ayant retrouvé mon avis datant de 2020, j'ai envie de le partager ici car c'est intéressant de voir à quel point j'avais survolé ce que le film voulait m'offrir.
''Bande son, costumes, maquillages et décors très impressionnants, concernant le casting c'est en revanche très discutable, à commencer par Keanu Reeves et Winona Ryder dont les accents peinent à me convaincre, en particulier Keanu qui nous offre par-dessus cela une performance des plus fades.
Cinématographiquement mon coeur balance. D'un coté c'est souvent très beau, de l'autre le film se barde de beaucoup d'effets de style plus ou moins grossiers, entre les caméras en POV au mouvement saccadé ou les transitions plus ou moins subtiles d'un plan à l'autre, etc.
Gary Oldman s'en sort globalement bien, d'ailleurs les présentations de Dracula sont de celles jamais ratées. À l'inverse Anthony Hopkins cabotine beaucoup, vraiment beaucoup, même pour Van Helsing.
L'intrigue avance par à coups, les dialogues froids et les jeux tantôt désincarnés tantôt grotesques du casting rendent le tout assez difficile à regarder.
Un film qui vaut le détour, vraiment, malgré ses gros défauts.''
Premièrement, les qualités que j'avais relevées sont toujours d'actualité. La musique par exemple est vraiment d'une qualité qui n'avait pas encore été atteinte pour une adaptation du roman de Stoker, et donne au film un grandiose qui sans elle ne serait certainement pas aussi chouette à mon goût.
Le film est aussi d'une évidente générosité artistique, visuelle certes (on verra ça plus bas) mais également au niveau de la direction artistique. Grâce à celle-ci, il redonne vie à une dimension fantastique du récit qui me paraissait plus ou moins délaissée toutes ces années après la version expressionniste de Murnau, les adaptations suivantes adoptant des approches plus littérales de l'univers, essentiellement intéressées par l'ambivalence entre le vampirisme et le sexe, l'horreur et l'érotique en la personne de Dracula, toujours en accord avec les moeurs d'alors.
Ici, ce principe demeure, mais s'y ajoute une fantasmagorie joliment mise en image par la conjonction de l'extravagance hollywoodienne de la fin du XXe siècle avec les techniques héritées du cinéma des débuts. Dans ce même esprit de rencontre explosive des époques, celle Victorienne dépeinte dans le roman se transforme en un mashup esthétique steampunk qui, combiné aux effets visuels mentionnés plus haut, en font une proposition artistique et narrative expérimentale vraiment satisfaisante, touchante même. Ça paraît absurde, mais quand on nous montre un Dracula immortalisé tel un simple passant par une caméra de son époque alors qu'on l'a vu se balader dans son château délabré, ça crée une étrange mais agréable sensation d'être connecté à une réalité qui n'existe pas. Comme si l'on pouvait y croire un peu plus, l'imaginant désormais ancré dans la nôtre par la force d'un objectif de notre passé.
Touchante, c'est également le cas de l'histoire qui, malgré ses airs grotesques, prend un tournant bien plus romantique (et convaincant) qu'avant dans la relation entre Dracula et Mina. Toujours dans cette dichotomie de Dracula et Orlof après la version emplie de frustration de Kinski, on revient donc ici à un être capable d'être beau, attrayant, bien que toujours différent de la gente établie à Londres à cette époque. Cela étant dit, sa nature horrifique tant physique que mentale reste clairement établie - elle est surtout changeante selon ses motivations, ses capacités.
Il est donc plus nuancé, en accord avec les moeurs de la fin des 90's.
Alors que l'aliénation abstraite des lecteurs de l'époque victorienne par une quelconque menace extérieure donnait sa force évocatrice au Dracula de Stoker, et que la transposition des évènements dans une contrée germanique par Murnau quelques années après la Ière Guerre Mondiale lui donnait une nouvelle grille d'interprétations, ici Coppola préfère une évocation plus romantique et déconnectée de la réalité, un simple amour chimérique, mortel mais poétique entre une aristocrate anglaise et un étranger. Les efforts visuels pour entretenir ce cauchemar fiévreux ambulant mais hypnotique contribuent, avec la prestation de Gary Oldman et les multiples maquillages et changements de formes, à rendre chacune de ses apparitions mémorables et à laisser planer une ombre pesante sur les protagonistes lorsqu'il n'est plus à l'écran.
Ç'aurait été bien si le reste du casting avait bénéficié d'un tel soin, car malgré la beauté désarmante de Winona Ryder et tout la sympathie que j'ai à l'égard de Keanu Reeves, ni l'une très bancale ni l'autre très mauvais ne sauront obtenir ma clémence avec ce revisionnage, et c'est difficile de ne pas avoir ce sentiment de gâchis quand ils sont si souvent mis aux côtés d'acteurs bien plus compétents qu'eux. Oldman c'est déjà abordé, mais à leurs côtés se tient également un Anthony Hopkins qui m'a davantage amusé que dans mes souvenirs, mais dont la prestation ne me satisfait toujours pas totalement. Le reste fait avec ce qu'il a, parfois même avec une intensité qui ne démérite pas dans ce drama victorien, mais a du mal à réellement jouer un rôle d'importance dans ce triangle amoureux. Tom Waits en Renfield, j'avais totalement oublié. Me suis rappelé pourquoi, mais quel choix de cast intéressant tout de même.
Malgré cela, et en dépit des quelques effets ou décors moins réussis et plus cheap, rien ne pourra me donner envie de considérer le film aussi sommairement que je ne l'avais fait quatre ans plus tôt. D'ailleurs je viens de passer x paragraphes à tenter de prouver le contraire, même si je trouve qu'il a quand même un peu de gras ici et là.
Je sors donc de ce revisionnage bien plus emballé par la version de Coppola, tel un coup de coeur au second rendez-vous.