En 1992, le personnage de Dracula semblait avoir épuisé ses potentialités narratrices au terme de plus de soixante adaptations. La dernière apparition marquante d’un vampire remontait à Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog (1979) laissant entrevoir un panorama cinématographique peu propice à l'exploration des thèmes gothiques et romantiques. Francis Ford Coppola s’attaque à ce monument du vampirisme avec une audace renouvelée, hanté par l’héritage littéraire et cinématographique qui pèse sur son œuvre. Délaissant les interprétations stéréotypées du personnage, Coppola s’engage alors dans une quête esthétique. Sa démarche s’inscrit dans une recherche formelle, une réinvention d’un mythe à travers une lentille à la fois personnelle et collective.La filmographie de Coppola, riche et variée, révèle une volonté de fusionner des styles et des genres. De ses débuts dans la série B horrifique avec Dementia 13 à son chef-d'œuvre Le Parrain, il n’a de cesse d’expérimenter et de créer des formes. Avec Dracula, il suit cette tendance en intégrant des éléments de l'opéra et du romantisme gothique, créant ainsi une synthèse iconographique du genre.Les thématiques constantes de Coppola apparaissent à travers le personnage de Dracula, qui évoque des figures de pouvoir et de décadence, dévoilant la dualité d’un héros tragique, tantôt prince ténébreux, tantôt tyran déchu. Gary Oldman, dans le rôle du comte, incarne cette ambivalence avec intensité, oscillant entre la majesté romantique et la monstruosité. Ce personnage est à la fois un démiurge et une victime, en proie à un rêve de puissance qui le condamne à l’isolement. Coppola se plait à jouer avec le temps, et Dracula ne fait pas exception. En transformant un récit épistolaire complexe en une narration cinématographique, il rend hommage aux méandres du roman tout en imposant sa vision. Ce film ne se contente pas de suivre les traces des adaptations précédentes; il s’enrichit de nouvelles perspectives, illustrant le cheminement d’un héros tragique à travers les époques. La rencontre de Dracula et Mina à une séance de cinématographe, filmée avec des effets spéciaux archaïques, nous plonge dans un univers où le passé et le présent se retrouvent, évoquant une histoire d’un siècle faite de rêves et de mythes lointains.Sur le plan visuel, Dracula est une œuvre baroque, où le style de Coppola s’affirme comme un tableau romanesque. Les effets de collage et de superposition créent une trame sonore et visuelle, et permet d’expérimenter des émotions brutes, oscillant entre la terreur et l’émerveillement, tout en enrichissant le récit en épaisseur narrative. À travers Dracula, Coppola ne se contente pas de revisiter un mythe; il en réinvente la substance même. Le film se déploie comme une vaste fresque, où les personnages sont à la fois pris dans leurs désirs et leurs tragédies. Ainsi, Dracula de Francis Ford Coppola s’impose comme incontournable. En conjuguant le visuel au narratif, il redonne vie à un mythe en déclin.