Les dragons sont nos amis, il faut les aimer aussi
Attendant fébrilement la sortie de Dragons 2 (le film d'animation américain de l'année, si tout va bien), j'ai décidé de me rafraîchir la mémoire en me replongeant devant le premier, qui fut mine de rien un joli petit coup de coeur. Un processus qui s'accompagne toujours d'une certaine appréhension : le film que j'ai adoré au premier visionnage est-il toujours à la hauteur de mes souvenirs ? Mérite-t-il vraiment d'entrer dans le panthéon, très fourni je le reconnais, de mes films d'animation favoris ?
Avant de parler de Dragons premier du nom, je vais effectuer un rapide retour sur le studio qui l'a vu naître : Dreamworks Animation. La firme de Spielberg s'est en effet lancée, dès la fin des année 90, dans le domaine de l'animation, et a presque immédiatement été mise en concurrence avec Disney, et surtout Pixar, pour ce qui est de ses films en image de synthèse. Et là où les créateurs de Toy Story remportaient toujours l'adhésion avec des films créatifs, à la fois drôles, touchant, et dotés d'une insoupçonnée finesse dans leurs propos, ceux de Dreamworks se voulaient volontairement plus « cool », en apparence plus orientés comédie et esprit décontracté, mais, dans les faits, surtout beaucoup plus vides. Les films made in Dreamworks Animation, toujours appréciablement mis en forme, ne brillaient ainsi jamais par le soin accordé à l'écriture de leurs histoires ou de leurs personnages, empruntant souvent des chemins préétablis et bourrés de clichés. Au final, peu de films vraiment mauvais, mais hélas tout aussi peu de métrages à vraiment marquer les esprits. Je retiendrai surtout les deux premiers Shrek, qui pour le coup ont réussi leur parti pris de proposer de vraies comédies, ainsi que Kung Fu Panda, prévisible et pas toujours drôle mais étonnamment maîtrisé dans son aspect visuel et ses combats très dynamiques.
Arrive alors Dragons (ou How To Train Your Dragon, le titre anglais est quand même un chouïa plus fun). A priori lui aussi destiné à se vautrer dans une trame prévisible de A à Z et un marasme de personnages fades et clichés. Le héros est un gringalet, peu à sa place, inventif mais incompris par son entourage, et qui doit trouver sa place dans le monde, qui va nouer une amitié improbable avec une créature en apparence dangereuse. Tout en ayant des relations plutôt conflictuelles avec un père déçu, sans compter le fait qu'il a un gros faible pour la plus douée des filles de son âge. Le tout dans un univers fantasy à base de vikings et de dragons, relativement déjà vu. Bref on est en plein cliché-land, mais l'exploit de Dragons, c'est que tout marche. Le film est un vrai plaisir à suivre, du début à la fin, et les moments a priori douloureux (ce fameux passage obligé où tout le monde découvre que le héros leur a caché la vérité depuis le début...) passent étonnamment bien.
La clé, c'est que Dragons prend le temps de bien faire les choses. Je pense notamment au coeur du film, la relation entre Hiccup, le héros, et Toothless, son dragon. Elle se développe très progressivement, le spectateur en voit toutes les étapes et peut ainsi mieux apprécier la solidité du lien entre l'homme et le dragon telle qu'elle est décrite à la fin du film. Le film pose également les bases d'un solide univers, qu'il s'agisse du peuple viking mais aussi et surtout des dragons. On sent que les créateurs se sont amusés à inventer les différentes créatures et leurs habilités, rendant chacune des créatures uniques et surtout créant une vraie fascination pour elles. On comprend donc assez vite qu'on est face à une équipe passionnée par son sujet.
Le film se paie également le luxe d'être une petite claque visuelle. Les couleurs, le design des personnages et des dragons, les paysages (les paysages...), la mise en scène, ... L'ensemble du film est une merveille d'animation, mais je retiendrai tout spécialement les séquences de vol assez ébouriffantes, dynamiques, et offrant de superbes vues, ainsi qu'un climax spectaculaire. La générosité visuelle, la volonté d'offrir un vrai show visuel au spectateur, est constante. A ce niveau-là, Dreamworks a établit avec Dragons de nouveaux standards de qualité en matière de visuel, qui seront réitérés avec Les Croods, sorti l'année dernière.
Et Dragons gère sans problème son ton : l'humour est bien présent mais savamment distillé, on passe très vite sur les quelques blagues un peu lourdes, et à côté on rit franchement, notamment du héros et de son éternel côté à la fois peu sûr de lui et un peu blasé. Mais quand le film doit être sérieux, il l'est, offrant de vrais moments de pure émotion, de tendresse, ou encore de tristesse solennelle. On s'attache sincèrement aux personnages, on a envie de passer du temps avec eux, de voir Hiccup jouer avec son dragon, ou son père maladroitement tenter de lui exprimer son affection. Toutes les relations sonnent juste. Et alors qu'est-ce c'est épique ! J'en reviens encore à ce climax, mais on a là un film qui fait la leçon à bon nombre de films « épiques » en live action. A noter d'ailleurs la partition de John Powell, très juste et qui enrichit à merveille l'atmosphère de l'ensemble. Je souligne la fin, forcément on s'en doute pour un film du genre, c'est une fin positive, mais avec cependant une petite nuance, osée et rafraichissante (je n'en dis pas plus...). Et même la morale de l'histoire, passage obligé de tout film pour enfants, n'est pas martelée, on comprend bien de quoi il s'agit et le film n'insiste pas lourdement dessus.
Si je devais faire quelques petits reproches, ce serait notamment au niveau du déroulement de la seconde moitié du film. Après une première partie qui prend bien son temps pour tout mettre en place, établir les personnages et les enjeux, la secondes est un peu plus rapide, et certains éléments sont expédiés un poil. Je pense notamment à l'évolution d'Astrid, personnage que j'aime beaucoup mais qui aurait sans doute mérité un peu plus d'attention. Ou encore de la « résolution » finale. Mais je pinaille sans doute un peu, parce que même sur ces points, Dragons roule sur une bonne partie de la concurrence.
Ce film, c'est donc un peu la manière pour Dreamworks de dire à Pixar : « regardez, nous aussi on peut faire des putain de films quand on prend le temps ! ». Drôle de hasard d'ailleurs que le dernier très bon film de Pixar soit sorti la même année que le premier trèèèès bon film de Dreamworks Animation. Quoi qu'il en soit, Dragons est une belle réussite à tous les niveaux, généreux, drôle, touchant, épique, émerveillant, le revisionnage ne fait que confirmer tout le bien que j'en pensais. De quoi mettre en confiance pour la suite, qui s'annonce encore meilleure !