On reparlera sûrement de Dragons comme on reparle aujourd'hui de Toy Story, comme d'une épopée libératrice, comme d'une saga d'animation qui a su redonner un degré d'exigence à son public en le faisant grandir au fil des opus et contrer les mange-merdes de la concurrence ne voyant en un enfant innocent qu'une vache à lait. On en oublierait presque quel studio a produit ces films tellement ils sont à des lieues du calibrage et de la bêtise qui caractérisent la moitié des productions DreamWorks sorties ces quinze dernières années.
La trilogie a pris son temps pour bien se faire, s'entourant des personnes les plus qualifiées pour ne pas décevoir les fans et récompenser leur attente. Dean DeBlois poursuit à nouveau l'aventure en solo, sans son collègue Chris Sanders, et effectue un rétropédalage. 5 ans séparent Dragons 2 de sa suite mais dans la temporalité de la série, une petite année seulement s'est écoulée depuis la défaite de Drago. Notre patience était pourtant nécessaire, nous permettant de constater combien l'utopie souhaitée par Harold avance trop vite, l'île recueillant plus de créatures qu'elle ne le devrait. Un signe de précipitation bien agencé qui sera au coeur du scénario.
Et s'il était encore trop tôt pour cette harmonie rêvée, que la coexistence en cours doive être retardée? Notre jeune héros doit faire face à ses responsabilités de chef, arrivant à l'étape finale teasée depuis 9 ans, à lui et à sa génération d'être les guides et non plus les apprentis. Les questions identitaires mènent cette fois-ci à une réponse d'indépendance qui affranchit l'humain de son animal, le fils de son père, le Viking de sa terre natale etc... le futur ne repose plus que sur les épaules de Harold qui cumule tous les dilemmes pour lui, ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise chose.
Il doit ainsi supporter un plus grand poids et trouver le juste milieu entre le bien-être de son village et le sien mais tous les autres personnages humains en pâtissent, réglés comme de sages conseillers qui n'ont plus grand chose à dire. Astrid reste fixée sur ses discours d'encouragement à répétition (qu'en est-il du doute face au mariage?), la mère se fait discrète et ne sert que de bonne conscience, et le groupe de sidekicks a atteint ses limites. L'humour dans Dragons a souvent été entâché par leur lourdeur mais les deux premiers chapitres avaient su se concentrer sur le regain de confiance qu'ils apportaient à Harold, les rendant sympathiques. Ici, leurs interventions n'apportent que des moments paresseux (l'évasion, facilité d'écriture surprenante pour une saga aussi soigneuse) voire carrément ridicules (l'intérêt de la jalousie de Rustik?).
Du côté de Krokmou, plus important dans ce volet qu'il ne l'a jamais été, le coup de foudre pour une Furie Éclair constitue un des arcs majeurs du long-métrage qui, comme pour l'intrigue autour de Harold, s'étale sur une durée conséquente. Tout évolue en douceur, sans accélération, et s'accompagne d'une scène de séduction très amusante et reflétant de façon appropriée et intelligente les efforts de communication entre Harold et Krokmou dans le premier film. Les séquences quasi-muettes sont encore une fois les plus réussies, gracieusement réalisées et jouissant d'une qualité visuelle éblouissante. Mais cette longue préparation aboutit à la plus grosse faille du métrage.
Surgissant de nulle part, le climax arrive sans crier gare alors que l'on revient à peine de la découverte du monde caché (3 minutes de temps d'écran au total) et bâcle complètement la menace incarnée par Grimmel, nouvel antagoniste qu'on nous vend comme plus dangereux que ses prédécesseurs, protégé par des dragons drogués que même un alpha ne peut ramener à la raison et à la tête d'une gigantesque armada. 1h30 de suspense tout ça pour que 6 adolescents et quelques uns de leurs monstres éradiquent le problème. Des drakkars inactifs, un méchant mort hors-champ et un peuple à l'écart du conflit. Le chef se bat pour Beurk mais Beurk ne se bat pas pour son chef, étonnant dans une histoire où l'esprit de communauté a toujours été mis en avant.
Comme si Dean DeBlois voulait se presser d'arriver à la conclusion, prévisible mais logique, et ne voyait cet ennemi que comme un prétexte, un raccourci pour aller droit à l'essentiel. Le déjà-vu est une de ses principales peurs, les deux premiers Dragons ont à chaque fois enlevé quelque chose à Harold pour qu'il puisse créer son monde idéal (d'abord une jambe, puis son père).
Dans le 3, il s'en sort indemne sans qu'il n'y ait de perte mais doit abandonner son projet et revenir à une civilisation traditionnelle. L'évolution du héros se voit venir à cause de la romance florissante entre les Furies mais cet épilogue a du sens dans ce qui nous a été conté. Un dernier sacrifice doit avoir lieu et un rêve d'enfance doit ne pas être accompli si Harold veut prouver qu'il a compris les leçons du passé (et si l'on ne veut pas reproduire le final de Dragons 2).
Peut-on en vouloir à Dragons 3 : Le Monde Caché de ne pas être parfait? Ses aînés y étaient pratiquement parvenus et la moindre petite erreur ne peut que nous faire ressentir de la déception. La déception de n'y voir "seulement" qu'un très bon film. Ses quelques problèmes fâchent mais les adieux sont très satisfaisants, garantissant un ultime voyage prenant, cohérent, graphiquement et musicalement splendide et porté par un duo inoubliable. Harold et Krokmou ont été et seront pour toujours des modèles pour des millions de spectateurs à travers le globe.