Rêver trop grand (ou pas assez, c'est selon)

Difficile de ne pas être sensible à ce genre de synopsis pour le moins original.

Un gars lambda qui se retrouve soudainement à peupler les rêves du monde entier, pour ma part, je n'ai jamais rien connu de tel. Et ce qui est excitant avec une idée pareille, c'est qu'elle fait tout de suite turbiner nos esprits sur le champ des possibles qu'elle ouvre.

C'est justement toute la force des comédies absurdes et cela, ce Dream Scenario l'a bien compris.


C'est qu'il y a une efficacité certaine dans l'écriture comme dans la mise en scène de Kristoffer Borgli. On pose les choses rapidement, on élude ou on reconstruit habilement les moments évidents, et surtout on s'appuie sur ce qui constitue le vrai point fort de l’œuvre : l'interprétation de Nicolas Cage.

Alors on sait tous qu'il est de bon ton en ce moment de s'extasier sur la tournure que prend la carrière du neveu de Francis Ford Coppola, et qu'il serait dès lors tentant de tartiner quelques lignes à ce sujet pour justifier de son avis sur ce film à moindre frais sans trop avoir à se fouler sur une analyse plus approfondie, mais dans le cas présent, je trouve qu'il est tout de même difficile ici de faire l'économie de ce genre de détour.


Clairement, Cage est l'attraction qui permet d'épaissir et d'épicer suffisamment le déroulé de ce Dream Scenario car, oui – et de manière assez surprenante au regard de l'originalité du postulat de départ – le cheminement de ce film finit par l'engager sur une voie assez prévisible, et par conséquent assez déceptive.

C'est qu'il n'y a rapidement plus de mystère sur le fait que le film entende n'exploiter son sujet que pour en faire une critique des réseaux sociaux. La démarche est même tellement manifeste et univoque – jusqu'à littéralement parler de memes ou de cancel culture – qu'on est en droit de se demander quel intérêt il peut y avoir à passer par le biais d'une métaphore.

Parce qu'en effet, sitôt une symbolique se révèle à ce point translucide sur sa signification qu'elle perd tout intérêt ; c'est-à-dire toute vertu à produire de la distanciation à l'égard du sujet abordé.

Et donc oui, sur ce point Dream Scenario souffre clairement d'un esprit didactique parfois trop insistant pour qu'on puisse pleinement se délecter de la farce. En tout cas, pour moi, le curseur a été, de ce point de vue, clairement mal placé.


Mais malgré tout – et j'insiste donc sur ce point – Dream Scenario n'en reste pas moins digne d'intérêt, et notamment pour ce que l'interprétation de Nicolas Cage rend possible.

Car à incarner cet individu aussi brillant qu'inadapté aux enjeux de communication et de séduction de notre société, le personnage de Paul Matthews parvient finalement à lui seul à détourner le centre d'intérêt de ce film de l'originalité de son concept à l’ambiguïté de son protagoniste principal.

Parce qu'au fond, au fur et à mesure que les minutes s'égrènent, l'enfer numérique et ses mécaniques deviennent moins le sujet de ce Dream Scenario que celui qui s'y retrouve plongé et qui n'y est pas adapté.

Et c'est en cela que la partition de Cage est délectable dans la mesure où il a su trouver un étrange équilibre dans sa démesure, suscitant à la fois l'apitoiement pour celui qui reste en définitive un bon bougre et qui ne mérite pas ce qu'il lui arrive, tout en exacerbant en contrepartie le caractère pathétique de ces gens qui aspirent à être considérés au-delà de ce qu'ils sont et surtout au-delà de ce qu'ils font.


Et si, dans le film, cette question est traitée sur plusieurs plans – reconnaissance professionnelle, reconnaissance familiale, reconnaissance sociale – je trouve que celui qui, dans ce film, fait indéniablement mouche, c'est celui du registre du désir, car c'est clairement dans ce domaine que le film parvient le mieux à révéler la malédiction la plus cruelle qui touche Paul...

...Et cette malédiction c'est celle d'être en décalage.


Car Paul n'est pas indigne d'intérêt et d'amour en soi, puisqu'après tout il est un mari attentionné, un père aimant et surtout un enseignant-chercheur brillant. Seulement voilà, il a le malheur de vivre dans un monde superficiel, émotionnel et stéréotypé dans lequel il n'a ni les armes ni les codes.

Les scènes où Paul cherche à émoustiller sa femme et la stagiaire de son éditeur sont en cela très intéressantes à opposer dans la mesure où dans la première sa femme l'aime mais ne le désire manifestement pas – ne prenant pas au sérieux son jeu de fantasmes – tandis que dans la seconde il est désiré pour son physique, mais n'est clairement pas adapté aux jeux de l'amour stéréotypés auxquels sa partenaire l'invite.

Ces deux scènes sont d'ailleurs celles qui parviennent à se montrer à la fois très drôles et très malaisantes, et cela justement parce qu'elles savent à la fois poser Paul comme un clown et une victime.


Et c'est au final tout le paradoxe que je trouverais à ce film qui, sur bien des aspects, est à l'image de son personnage principal.

D'un côté il est loin d'être dénué d'intérêt, mais de l'autre parce qu'il cherche à porter toute notre attention sur un précepte qu'il n'explore pas pleinement, il en vient à nous décevoir. Pourtant, s'il s'était montré un peu moins magistral et davantage subtil dans son approche, il aurait pu davantage convaincre, et surtout séduire.

Et si au bout du compte je trouve que la tournure cauchemardesque que prend l'intrigue sert clairement la démarche d'ensemble pensée par Kristoffer Borgli, je ne peux m'empêcher de considérer que c'est aussi par sa faute que tout semble aussi téléguidé et donc aussi frustrant.

Comme quoi, un film est parfois davantage habité par son sujet que ne peut l'imaginer son auteur...

Bref, bien étrange malédiction que celle de ce Dream Scenario...

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le 5 janv. 2024

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