______________________________Spoilers à tous les étages___________________________


Cette critique fait partie de la liste "Un livre, un film".
https://www.senscritique.com/liste/Un_livre_un_film/1500234


Roman: Romain Gary Titre original: Chien Blanc, paru en 1970.
Adaptation: Curtis Hanson et Samuel Fuller.


Fidélité d'adaptation: 15%


Qualité d'adaptation: 100%


                                                 **Différences entre le livre et le film**:

Les personnages:


Romain Gary/Jean Seberg: des caractéristiques de ce couple ont été fondus, donnant ainsi une base d'inspiration pour le personnage principal, Julie Sawye**r (**Kristy McNichol).


Jack Carruthers (Burt Ives): pas de changement notable.


Keys (Paul Winfield) :dans le roman, c'est un homme calculateur, pas dans le film.


Batka/Fido: de chien grisonnant à la truffe roussie, il devient sans nom et blanc dans le film.
L'histoire:


Le script de Hanson et Fuller se recentre totalement sur le sujet du chien blanc et ne conserve donc que cette trame, évacuant du coup tout le reste du texte de Gary, qui narre sa vie en compagnie de sa femme Jean Seberg entre 1967 et 1969, de Los Angeles à Paris.


Dans le roman, c'est Sandy -le chien du couple Gary/Seberg- qui ramène un Berger Allemand errant, alors que dans le film, c'est Julie Sawyer qui le renverse accidentellement en pleine nuit.


Dans le roman, Romain Gary réalise que Batka (nom de baptême donné par Gary) semble vouer une haine féroce aux personnes Noire (une frénésie rageuse s'emparant de l'animal) , après que trois livreurs se soient présentés au portail,en un laps de temps assez court. Il décide alors d'aller au Noah's Ark (une réserve animalière) et rencontre son propriétaire Jack Carruthers.
C'est là que celui-ci lui indique qu'il ne peut rien faire pour un chien d'attaque âgé de 7 ans.Batka . Il lui conseille aussitôt de le faire piquer, ce que Gary refuse de faire.
Dans le film, Julie Sawyer tourne dans une scène d'un film au côté d'une femme Noire. C'est là que le chien change soudainement de comportement et assaille violemment la jeune Afro-Américaine.
Elle décide donc d'emmener le chien au Noah's Ark, après que son petit-ami l'eût menacé d'appeler la police à ce propos. Julie y rencontre donc Carruthers, qui lui dira aussi qu'on ne peut rien faire pour un chien d'attaque qui a mal tourné. Il en viendra donc au même conseil que dans le roman.
Alors que Julie -désemparée- sort du bureau, le chien -muselé- lui échappe et saute à la gorge d'un jardinier Noir présent à l'extérieur. C'est à cet instant que Carruthers comprend et qu'il hurle sur Julie: "It's a white dog!" Et il lui explique ce qu'il en est.


Dans le roman, Batka est enfermé dans une cage au Noah's Ark depuis un certain temps (Gary nous parle de ses visites journalières), avant qu'il ne rencontre Keys. Celui-ci ne jette même pas un œil vers la cage -où Batka est déchainé en le voyant- et salue amicalement Gary. Devant le comportement agressif de l'animal, Keys lâche un laconique "It's a white dog..."
Puis il lui explique ce qu'il en est...
Dans le film, Keys est introduit dans le film entre la scène dans le bureau de Carruthers et celle où il lui hurle que c'est un "chien blanc". La caméra zoome sur la pancarte où est inscrit: "Noah's Ark" et juste en-dessous "Carruthers & Keys", puis panoramique vers le bas, nous présentant Keys qui s'approche des autres.


Dans le livre -après que Gary ait parlé d'un enseignant d'art dramatique et d'une démonstration de haine raciale- le romancier est appelé au téléphone par Carruthers qui lui demande de venir immédiatement.
Jack Carruthers souhaite piquer Batka, car il lui semble vraiment irrécupérable. Le vieil homme emmène Gary vers la cage du chien. Celui-ci parait blessé et Carruthers lui explique que Keys (engoncé dans une combinaison de protection) et le chien ont lutté ensemble (l'un pour se faire obéir, l'autre pour tuer).
Devant le peu de résultat, Keys a démissionné.
Carruthers insiste pour euthanasier Batka.
Gary refuse.
Carruthers lui dit alors qu'il ne veut plus garder son chien au Noah's Ark.
Dans le film, Keys (protégé) lutte contre le chien puis tous deux s'effondre sur le sol, le souffle court. Keys enlève son gant et fait lentement glisser sa main nue vers le chien.
Celui-ci n'a pas la force de réagir ("too tiring to try, uh?" lui dira un Keys harassé, mais content du résultat).


Dans le roman, la scène suivant l'entretien entre Carruthers et Gary nous expose que le romancier a demandé à l'un de ses amis, de lui prêter un révolver. Il emmènera Batka, le fera descendre de la voiture et lui pointera son arme derrière l'oreille. Gary -tremblant et en larme- tire et le manque, du fait de sa nervosité et de sa répugnance à faire ça.
Le romancier écrira "J'ai l'impression d'avoir raté mon suicide" (chose qu'il réussira en 1979, après que Jean Seberg ait fait de même peu de temps avant...).
Dans le film, en lieu et place de ça, Julie se rend au Noah's Ark sur l'invitation de Keys pour assister à une nouvelle tentative de "reconditionnement".
Keys -tout en enfilant ses protections- lui dit qu'il doit l'user (le chien) jusqu'à ce qu'il réalise que l'attaquer est inutile (comprenez par là que Keys veut montrer au chien qu'un homme Noir ne lui voudra pas automatiquement du mal). Le dresseur dit aussi à Julie qu'il va passer à la phase 2. Celle-ci lui demande donc qu'elle était la phase 1.
Keys lui répond: "With the muzzle..." (avec la muselière).
Dans le roman, Gary se rend au domicile de Keys et tous deux conviennent d'une nouvelle tentative. A la fin de leur entrevue -il est donc convenu que Keys réintègre le Noah's Ark- le dresseur lui dit le plus sérieusement du monde:
"Vous savez que depuis Watts (émeute du quartier noir de L.A en 1965) un bon chien de garde bien dressé,, les Blancs paient ça jusque 600$?"


Dans le roman, la scène où le propriétaire de Batka se présente au domicile de Gary (indiqué par la SPA), intervient après le retour de Batka au Noah's Ark. Le maitre de Batka (accompagné de ses deux petites-filles) se présente comme étant un ancien Shérif et apprend à Gary que c'est son propre fils -aussi un policier- qui a dressé Batka (qui se nomme en fait Fido). Le viel homme énonce cela avec une grande fierté. Gary lui raconte alors que Fido est parti en Afrique avec un nouveau compagnon...un homme Noir!
Dans le film, Wilber Hull (le propriétaire du chien, aussi accompagné par ses deux petites-filles), n'intervient que 10 minutes avant la fin du film, c'est à dire juste après que Keys ait appelé Julie pour lui annoncer que le chien semble "guéri". La jeune femme lui demande donc si c'est lui qui a dressé l'animal.
Il lui répond par l'affirmative.
Julie lui demande si c'est lui qui en a fait un chien blanc.
Hull devient méfiant, puis se laissant avoir par l'apparent assentiment de celle-ci, il répond fièrement: "And the best of the lot!"


La fin diffère sensiblement aussi:


-Dans le roman, Gary -après ses aventures à Paris et les ennuis de sa femme avec les Black Panthers- tente d'avoir des nouvelles de Batka, que Keys semble avoir adopté.
Mais celui-ci a changé de numéro de téléphone.
Le romancier se déplace jusqu'à chez lui (bien que pas très sûr du numéro de la maison), en compagnie de l'agent artistique de sa femme. Arrivé à destination, c'est son ami qui trouve la bonne maison en premier.
Il y entre et Gary entend soudainement des aboiements furieux. Gary se précipite à l'intérieur, et s'aperçoit avec horreur que son ami Blanc se fait attaquer par Batka! Tentant de stopper le chien fou, Gary se fera mordre plusieurs fois par Batka et croira sa dernière heure venue. Il se prépare donc au pire, mais Batka s'est calmé et le fixe avec un regard doux, où semble pointer une certaine confusion.
Il finit par s'enfuir dehors.
Keys assiste à la scène en riant du haut des escaliers et lance avec fierté: "It's a Black dog!" Ils auront tous deux une discussion animé (Keys scandant le fait qu'il a réussi et Gary l'accusant de se comporter comme les Blancs racistes...
Gary retrouvera Batka en boule dans les bras de Jean Seberg -le chien avait retrouvé le chemin de sa "maison" à des kilomètres de là- et raide mort...
Dans le film, nous voyons le chien libre de toute attache.
Keys -à l'intérieur du dôme- ouvre sa chemise, expose sa peau noire et invite le chien à le rejoindre.
Celui-ci s'élance et pénètre dans le dôme en courant.
Gros plan sur les visages anxieux de Julie et Carruthers.
En fond sonore, des grondements apparaissent et nous voyons le visage de Keys se fermer.
Le chien court vers nous. Ses babines sont retroussés sur un rictus effrayant.
Keys sort son arme.
Le chien s'arrête. Babines à demi-retroussées...
Gros plan sur la tête du chien, calme à présent.
Keys semble rassuré et baisse son arme vers le sol.
"You did it, Mister Keys!", lance une Julie enthousiaste.
Le chien se tourne vers elle, en reconnaissant sa voix.
Gros plan sur le visage de Julie. Son sourire se fane et des grondements retentissent à nouveau.
Le chien s'élance vers Julie, en montrant les dents.
Keys arme le révolver et le lève en direction du chien.
Plan moyen sur une Julie désemparée.
Le chien ralentit, puis s'arrête. Ses dents toujours découvertes, il semble confus.
On revient à Julie, qui n'a pas bougé.
Le chien aboie amicalement, le visage de la jeune femme s'éclaire.
Keys rengaine son arme.
Lent travelling circulaire présentant le profil droit du chien, le visage (où les émotions se bousculent) de Julie contre le pelage de l'animal, puis la boucle se termine sur la face du chien.
Babines retroussées et grondant.
Plan moyen sur Carruthers, soucieux.
Le chien se dégage avec force de l'étreinte de Julie.
Keys commence à dégainer son arme.
rapide plan moyen sur Carruthers puis saut du chien sur le vieil homme.
Le chien fait claquer ses mâchoires sur le corps du vieil homme.
Le pelage blanc se marbre de rouge sang et la main de Carruthers repousse la tête de l'animal.
Gros plan sur Keys qui tire, puis couinement du chien.
Il fait feu encore une fois.
Julie se précipite vers Carruthers.
Gros plan sur le visage vaincu d'un Keys au bord des larmes. Il sait qu'il a échoué...
Le plan final est un zoom arrière sur le corps inerte du chien mort, forme blanche contrastant avec la teinte ocre du sol terreux de la cage-dôme.


La bêtise de l'Homme a gagnée...


Le film:


Avant de discourir sur ce film qui est souvent considéré comme un "sous-Jaws canin", il est bon de replacer le contexte premier définissant ce qu'est un "chien blanc".
Un "chien blanc" (rien à voir avec la couleur du pelage canin) est un animal qui est "martyrisé" dès ses premiers mois par une personne de couleur (souvent issue de quartiers défavorisés, sous la supervision d'un "Blanc" raciste, qui "récompense" le dresseur par quelques avantages en nature (boissons alcoolisées, quelques dollars...).
Ce pauvre hère fera subir des maltraitances à un chiot, qui développera une grande peur de l'homme Noir.
Peur qui amènera logiquement une haine féroce, au fur et à mesure de son éducation.


Durant les heures sombres de l'esclavagisme, les colons européens eurent l'idée de dresser des chiens d'attaque pour poursuivre les esclaves noirs qui s'enfuyaient hors des plantations auxquelles ils "appartenaient".
Plus tard, dans les années 50/60, il y eu résurgence de cette pratique, notamment de la part des Blancs Suprémacistes et de certaines brigades d'intervention de la police-même.


Rappelons-nous que le "Civil Right Act" déclarant la ségrégation raciale illégale, n'est entré en vigueur qu'en 1964. Mais il fallut un certain temps avant que cette loi ne soit appliquée réellement (en témoigne les émeutes du quartier de Watts en Août 1965).
Il n'était donc pas rare qu'une certaine partie des forces de l'ordre utilises officieusement des "chiens blancs" pour "lutter" contre les activistes Noirs ("Black Powe**r" et surtout la faction plus radicale, les "**Black Panthers").


La genèse du film.


En 1975, Paramount Pictures acquiert les droits en vu de le transposer au cinéma.
Assez rapidement, un jeune scénariste du nom de Curtis Hanson (futur réalisateur de "La main sur le berceau"), en tire un script se focalisant uniquement sur le thème du chien conditionné pour attaquer les personnes de couleur, supprimant du même coup le côté autobiographique (Gary lui-même disparait de l'histoire) et recentrant l'intrigue sur une actrice d'Hollywood qui adopte un chien après un accident en pleine nuit.
Roman Polanski est désigné comme metteur en scène, mais celui-ci -rattrapé par une sombre affaire de mœurs- fuit les États-Unis, laissant le projet en plan.
Il faudra 6 ans pour que le projet réapparaisse à la faveur d'une demande express de la Paramount, qui souhaite sortir rapidement de l'ornière de la grève des scénaristes -qui a considérablement impactée leur chiffres d'affaire- et ainsi distribuer des films vite fait-bien fait, pour remplir leurs caisses.
Le studio ayant dans l'optique d'en faire un "Jaws canin", il valide la suggestion de Hanson et engage le vétéran, Samuel Fuller (Shock Corridor).
Lors de l'annonce de la mise en chantier du film, les ligues Noires anti-racistes (NAACP et BADC) protestent contre ce projet, arguant "que le film traitant du racisme anti-Noir est basé sur le roman d'un Blanc, produit par des Blancs et interprété par des Blancs".
Fuller n'en a cure et sera confiant envers ce projet. Le scénario d'Hanson -évacuant le fait que le Keys original reconditionna le chien pour attaquer les Blancs et le transformant en un homme plus modéré et modifiant la fin en mode plus pessimiste- lui plait beaucoup et il se met rapidement au travail.
Durant le tournage, la Paramount engagea deux Afro-Américains comme consultants, pour valider la manière dont les personnages Noirs seraient représentés à l'écran. Mais les deux hommes eurent des réactions différentes...L'un d'eux ne trouva rien à redire dans la représentation des personnages Afro-Américains tandis que l'autre s'offusqua rapidement sur le film lui-même, qu'il jugeait "inapproprié".
Connu pour ses positions pro-intégrationniste, Fuller devint furieux envers les manœuvres "frileuses" du studio, lorsqu'il eut connaissance de l'engagement des deux "consultants". Ne voyant pas pourquoi il devrait se justifier sur ses choix de mise en scènes plus ou moins dictés par la représentation "politiquement correcte" que le studio demandait, il interdit la présence des "consultants" sur le plateau de tournage.
Bon gré mal-gré, le film fut enfin terminé mais la Paramount se trouva bien embarrassé avec ce long-métrage qui avait déjà fait couler beaucoup d'encre.
Après quelques projection-test dans diverses villes du pays, le studio trouva "plus sûr" de ne pas le distribuer, dans la crainte d'attiser la colère des uns (activistes Pro-Noirs) ou des autres (activistes Anti-Noirs).
Interdit d'écran aux États-Unis, le film sorti en France en 1982 et au Royaume-Uni en 1983.
Le film fut plutôt bien accueilli par la presse.


Initialement prévu pour une diffusion sur la chaine NBC en 1984 -dans une version remontée- , la chaîne fit machine arrière sous les pressions continues du NAACP, ainsi que de leurs investisseurs publicitaires.


Le film.


Bien que visuellement proche d'un téléfilm (Fuller n'est pas là pour nous en mettre plein la vue avec des cadrages de fou, mais pour conter une allégorie sur le racisme) et souffrant d'une interprétation parfois inégale (Jameson Parker n'a jamais été exceptionnel), White Dog se concentre finalement sur ce chien en apparence adorable, mais en fait profondément marqué par son conditionnement, pour finir totalement déboussolé dans un triste mais logique élan final.
Fuller ne transforme pas ce chien (devenu blanc dans le scénario, pour accentuer le contraste pur/impur) en un ersatz de "Jaws" (comme voulu initialement par la Paramount), mais au contraire nous emmène dans la psychologie torturé d'un animal, conçu pour devenir une arme malgré lui.


La mise en scène sobre de Samuel Fuller recèle quelques moments d'anthologie:
-les rares scènes d'attaque sont impressionnantes de maitrise visuelle et narrative(la scène avec l'éboueur dans son camion, la scène avec l'enfant de couleur en arrière-plan, précédent la poursuite d'un homme Noir dans une église),
-la rencontre entre le vrai propriétaire du chien et la jeune actrice reste toujours aussi glaçante,
- la confusion de l'animal dans la scène finale est un moment d'émotion parfaitement illustré.
A cela s'ajoute la grandiose partition mélancolique d'Ennio Morricone, qui souligne dramatiquement les états d'âmes de ce pauvre Berger Allemand qui ne fait en fin de compte, que ce que l'humain lui a dicté de faire...


Ce chien sans nom (en fait interprété par 5 Berger Allemand différents) est l'anti-héro de ce "White Dog.
Il n'est que l'instrument de la haine des Suprémacistes Blancs envers les Noirs, depuis l'émancipation post-esclavagisme de ces derniers.
Cet animal n'est qu'une victime.
Nous sommes les bourreaux.


Livre: 6/10
Film: 10/10

Franck_Plissken
10

Créée

le 23 mars 2016

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The Lizard King

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