Dernier film en date du cinéaste danois Nicholas Winding Refn, Drive s'inscrit dans la veine du cinéma de genre qu'il transcende pour atteindre une perfection formelle et substantielle rare.
Solitaire, au nom et au passé indéfinis, « the Driver » - extraordinaire Ryan Gosling - est un véritable personnage de cinéma, fascinant tant par la douceur et la mélancolie qu'il dégage que par la dualité qu'il adopte, poussé dans ses retranchements. En effet, l'œuvre de Nicholas Winding Refn est profondément marquée par l'idée du bien et du mal, et surtout par l'indissociabilité de ces deux éléments. Ainsi, les choses se font selon la loi d'un certain milieu mafieux, porté par l'idée de vengeance et de liquidation des « témoins », dans laquelle le personnage se retrouve piégé. La volonté n'a alors que peu de prise sur les actions, comme dans le cas du gangster Bernie Rose obligé de tuer son ami Shannon, ou dans celui du « Driver » placide entrainé dans un excès de violence pour protéger celle qu'il aime – Carey Mulligan, bouleversante dans le rôle d'Irene – et son fils.
Tout comme ses personnages, le film est dual, entre rêve et cauchemar, et trouve sa singularité dans la force de l'histoire d'amour qui le traverse. Dans la première partie, la rencontre des deux protagonistes a lieu, et évolue, de déplacement en déplacement – géniale idée de la ballade sur une autoroute désaffectée en forme de clip, ilot de bonheur isolé –traçant les contours d'une impossibilité et de la nostalgie à venir. L'intensité de cette histoire est sublimée par la musique et par une mise en scène pudique au profond magnétisme. Cela atteint son apogée dans cette scène inouïe qu'est la scène de l'ascenseur, où la plus grande douceur, la plus grande passion, côtoie en un instant de basculement la violence la plus insoutenable, s'érigeant comme une métaphore du film tout entier et établissant dans leur relation à la fois le point d'orgue et le point de non-retour.
Porté par une dynamique de mouvement, Drive noue l'action, les relations et leur évolution dans les déplacements eux même, mais aussi dans les intervalles, les pauses, les ruptures qu'ils supposent. Ainsi, les scènes de poursuites – fondamentales – déploient une mise en scène virtuose jouant sur le silence et le bruit, la vitesse et l'attente immobile et créant de ce fait une tension incroyable. La voiture devient le lieu du huis clos, l'habitacle dans lequel tout se joue, allant jusqu'à figurer une extension du corps du personnage, par opposition à son appartement vide, simple lieu de passage. Nicholas Winding Refn met en scène l'espace avec intelligence et maestria, ne laissant au hasard ni la place de la ville – Los Angeles, à la fois réaliste et magique – ni la tonalité dramatique de ce conte urbain. En effet, la rencontre puis la séparation du Driver et d'Irene s'opère par la mise en scène même, en un très beau jeu de lumière et de couleur faisant se rencontrer – et séparant déjà - les personnages dans l'espace confiné de l'appartement.
Frénésie d'idées et de beauté pure, Drive est un objet cinéphilique puissant, imprimant sur le spectateur son emprise de la même façon que la veste du driver se macule de sang au fil de son épopée urbaine.
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