La montée en puissance de Ryūsuke Hamaguchi ne cesse de s'amplifier ; « Passion » était encore joliment timide, « Senses » avait à mon goût un côté trop « série », « Asako I et II » était déjà touché par la grâce, quant à « Drive my car », c'est l'acmé du moment pour ce cinéaste. On rêve de fait de pouvoir voir un jour sa version de « Solaris », et l'inédit « Wheel of Fortune and Fantasy” présenté à Berlin en 2021.
“Drive my car” est un immense film, une de ces oeuvres qui marquent à jamais. La narration est claire et subtilement tressée. Hamaguchi se sert du théâtre comme un écho de la difficulté qu'ont les êtres à communiquer dans l'histoire du film.
D'abord, de courtes scènes d' “En attendant Godot” de Samuel Beckett dont l'auteur disait ; « Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention. [...] Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s'il existe. [...] Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d'en voir l'intérêt. Mais ce doit être possible. »
Puis avec “Oncle Vania” d'Anton Tchekhov où les personnages de la pièce expriment toute la difficulté des relations humaines. Les champs/contrechamps avec une salle totalement concentrée sur le spectacle sont magnifiques, la distance toujours juste.
Cette intrusion se fait avec une grâce comme une évidence, et Hamaguchi en fait un documentaire poétique sur le processus de la création d'une pièce entre le metteur en scène et les acteurs; mais ce n'est jamais didactique, au contraire, ces scènes se fondent très naturellement dans l'histoire du film.
Où malgré tout, surgissent par petites touches,des conversations révélatrices, des bribes de confessions, des informations qui scellent la rencontre entre deux personnages à priori très opposés. Dès le début du film, l'histoire étrange que la femme raconte à son mari donne le ton. Il y a une complexité des sentiments qui s'exprime au travers de cette histoire, une étrangeté “murakamienne”. Le film est par ailleurs l'adaptation de la nouvelle du même nom d' Haruki Murakami issue du livre “Des hommes sans femmes”.
La mort plane sur le film, passée ou présente, sensation qui parfois perdure d'avoir entravé le vivant, et de persister de gêner sa bonne marche.
Enfin, la voiture rouge est comme un personnage à part entière, une sorte d'enjeu, qui offre aux protagonistes une certaine intimité.
Il est stupéfiant de voir cette succession de plans tous autant maîtrisés les uns que les autres (prix du scénario, certes, mais aussi prix de la mise en scène ou grand prix, ou palme d'or) qui atteignent une idée de ce qu'est la perfection, ces cadrages et angles de vues toujours pertinents dans leurs choix, ces mouvements de caméra parfois audacieux, mais sans ostentation. Le film se déroule avec une tranquillité confiante, une admirable fluidité. La musique, discrète, est parcimonieusement utilisée. Car les trois heures que durent le film auraient pu être six, que ce serait pareil. Hamaguchi nous emmène et ne nous lâche plus, émerveillés comme rarement.