Eo est un joyau, un geste cinématographique sidérant, tant sont concentrés, dans un montage serré, des plans forts en à peine une heure vingt. Jerzy Skolimovski dit à la fin du film qu’il l’a fait "par amour des animaux" et on ne peut certes qu’y souscrire tant son âne nous tirerait la larme, mais il y a aussi bien d’autres choses de dites dans l’œil sans fond d’Eo. Car Eo est le subordonné de l’homme et le film va s’attacher à montrer ce rapport, par ellipses rapides, pour toujours mieux revenir à l’œil d’Eo. La sensibilité désarmante de celui qui ne peut rien, juste voir. L’œil d’Eo est le miroir du monde brut des humains, de la violence endémique des hommes, à de rares exceptions près et de l’amour (à peu près) constant des femmes. Eo est la victime expiatoire de ce monde où l’animal est le bouc émissaire, hiérarchisé, puis, du fait de sa condition, balloté, attelé, enfermé, jusqu’au couloir labyrinthique sinistre. À peine brait-il. L’œil bouleversant d’Eo en gros plan. Forcément victime. Alors quand Eo pense rouge, ce seul souvenir de tendresse qui lui revient comme un flash et qui donne lieu à des images exceptionnelles, c’est forcément très émouvant. Parfois Eo s’échappe ; et sous la lumière froide de Pologne, chaque lieu, même naturel, devient menaçant, dans un ensemble de plans à couper le souffle, taillés au couteau ; la lumière chaude d’Italie semble remplie d’espoir… Mais ce ne sera que le théâtre d’une nouvelle comédie humaine. La musique enveloppante de Paweł Mykietyn est comme la transcription gigantesque et extraordinaire de la pensé d’Eo. Elle donne au film déjà riche d’images inoubliables une dimension grandiose. Eo est décidément immense.