Prix du scénario à Cannes, Drive my car est une adaptation - très libre et enrichie - de la nouvelle éponyme de Murakami que l'on retrouve dans son recueil "Des hommes sans femmes". Deux ans après le brusque décès sa femme, Kafuku est en charge de la mise en scène d'Oncle Vania de Tchekhov à un festival de théâtre à Hiroshima. Son contrat lui imposant un chauffeur, il va rencontrer Misaki, femme peu loquace et mystérieuse, avec qui il va panser son deuil au fil de la route qu'ils vont faire ensemble et des blessures qu'ils vont se découvrir en commun.

Si l'adaptation ne respecte pratiquement pas la nouvelle dont elle s'inspire, il est curieux de voir par quels travestissements Hamaguchi retranscrit une nouvelle d'une cinquantaine de pages en un film de trois heures. Le récit n'est initialement qu'une succession de souvenirs que confie Kafuku à son chauffeur, se remémorant son mariage heureux quoi que troublé par les infidélités de sa femme puis le besoin d'échanger avec l'un de ses amants à la suite de son décès. La gratuité et la concision de ses confidences d'homme meurtri échangées avec une inconnue accorde au texte une poésie et une légèreté que le réalisateur n'a pas pu reproduire dans ce film. C'est que les coutures sont ici trop appuyées, rendant chaque parole et acte affectés sinon artificiels. Toute la trame du film se résumera à une double mise en abîme entre la scène et la route, lieux antagonistes où le héros fera progressivement son deuil. La première sera le lieu de l'immobilité, de l'espace clos où l'homme se méprend et peine à se comprendre, où chaque geste et paroles sont faux faute d'avoir été répétés à longueur de journée. Alors que le salmigondis des langues joue de l'artificialisation des mots, seule les paroles de comptoirs, sous les lumières tamisées des bars d'hôtels, rendront quelque grace à Kafuku lorsqu'il s'agira de discuter de sa femme. Et ici encore difficile de réellement s'exprimer tant tout semble enfoui sous la tristesse et la pudeur des sentiments. C'est au final par un retour forcé à la scène, au jeu théâtral, que le héros ira de l'avant, comme l'on s'ordonne de jouer le jeu de la vie quotidienne après un drame personnel.

Le deuxième espace qu'explorera Hamaguchi au long du film est la route, lieu du transitoire et de l'éphémère, incarné par la conduite de Misaki. C'est ce voyage, presque initiatique, qui va permettre la spontanéité des sentiments de Kafuku et la découverte du commun de ses blessures jusqu'à son acceptation finale de surmonter la vie.
Si drive my car permet certains moments de poésie, notamment grâce à une photographie sublimée par les paysages nippons, il faut toutefois attendre la fin du film, le voyage final, pour ressentir un peu d'honnêteté dans la mise en scène. Le spectateur peut vite s'agacer d'une mise en scène apprêtée et répétitive jusqu'à la lassitude. On a du mal à comprendre pourquoi certains thèmes ne sont pas davantage explorés, notamment la référence ouverte à la tour de Babel qu'est la représentation théâtrale, ce qui laisse un goût de vanité dans les dialogues. Tout comme la figure Dostoïevskienne de Takatsuki aurait pu être développée sous d'autres angles que ses affèteries et ses soliloques obscures.

Drive my car est au final un film qui aurait pu tirer parti d'une réalisation moins binaire dans l'exploration des deux espaces constitutifs du film : la scène et la route. Certains plans font preuves d'une grande poésie - magnifiées par une simple cigarette tendue en haut d'un toit de voiture - mais sont ternies par un abus de mots dont peu sonnent vrais et ce d'autant moins lorsqu'ils forcent l'effet qu'ils veulent avoir - la culpabilité, le deuil, se passent parfois de trop d'insistance...

Batowski
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le 23 août 2021

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Batowski Jr.

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