Trois heures, c'est long, mais quand c'est bien, on n'y fait guère attention, en définitive : un très beau film, à la fois poétique et plein de sens. Qui parvient à combiner une sorte d'esthétisme formel avec - justement - le sens. A des lieux à cet égard des vides abyssaux que ne masque pas longtemps la beauté des images et des plans de certaines productions françaises et encensées par la critique nationale, par exemple de Dumont ou de Sciamma, pour ne pas les nommer.
Certes, il y a parfois des longueurs dans ce drive my car; mais on les pardonne, car elles entretiennent aussi le rythme, qui est celui du fil de la vie qui s'écoule. Bien sûr, la mise en abyme est un procédé susceptible de créer de la lourdeur et parfois, on n'y échappe pas, même si ici c'est assez fin et bien fait. Évidemment, le thème de la résilience est passe-partout et très en vogue : mais Hamaguchi n'y est pour rien si c'est devenu un mot clé à caser dans le moindre discours politique ou médiatique. Et puis, là, il est vraiment pris dans son sens premier et abordé avec pudeur et poésie. Deuil, regret, mais aussi culpabilité : le registre complet des ressorts et conséquences de la perte d'un proche est abordé avec beaucoup d'humanité, parfois avec tendresse mais aussi sans complaisance ni pathos excessif.
La voiture (suédoise et rouge - comme un coeur) tient un rôle central dans ce film. Déjà, Hamaguchi a eu le bon goût de ne pas choisir un SUV allemand pour y tourner quelques unes des plus belles scènes du film. Car elle est omniprésente cette bagnole, du début à la fin. D'abord dans une classique symbolique springsteenienne, comme allégorie de la fuite, de la recherche d'un ailleurs et de lieux inconnus ou du mouvement perpétuel de la vie et des choses. Ensuite, de façon plus atypique, comme un lieu intime, un lieu où à l'abri du tumulte du monde, un cocon protecteur où les paroles peuvent sortir, les mots les plus difficiles être prononcés, et, in fine, les situations commencer à se dénouer. Le choix d'un modèle ancien conférrant au spectateur une impression d'intemporalité, en le ramenant à l'âge où l'automobile n'était pas encore considérée comme un fléau pour l'environnement.
Enfin, ce film, qui pourtant entremêle aussi subtilement que judicieusement langages et cultures diverses, ne serait pas ce qu'il est s'il ne contenait pas cette once de perversité, de sexe et de mort, qui est souvent un marqueur des oeuvres japonaises majeures, que ce soit au cinéma où en littérature. Ce truc à la fois pudique, car s'exprimant au sein d'une société corsetée par les conventions sociales, et impudique, car sachant faire fi, par fulgurances, des fondamentaux de la morale judéo-chrétienne. Qui, c'est vrai, n'imprègne guère la culture japonaise.
Bref, à mes yeux, une vraie réussite que ce film; une prise de risques payante de la part du réalisateur. Et ça vaut souvent mieux qu'une réussite au box-office, même si en l'espèce il parait avoir bénéficié d'une bonne promotion : la salle dans lequel je l'ai vu, quoique petite, était comble.