Le film s'ouvre sur une femme nue, à contre jour, la nuit tombant derrière elle. Dans un lit avec son mari, elle lui raconte une idée de scénario qui nous plonge déjà dans les mises en abime qui persisteront tout au long du film.
"Elle a des limites et ses propres raisons. Elle s'autorise à en franchir certaines et d'autres non."
Les ambiances s'opposent particulièrement entre le jour et la nuit. La nuit des confessions, des lumières hypnotisantes des tunnels. Lorsque Yūsuke se laisser bercer sur la route, écoute les tourments de Takatsuki ou le fruit de l'imagination de sa femme. Le jour où l'on doit se tenir, où Takatsuki ne peut parler de ses ébats sexuels, où Oto redevient la femme cordiale et non plus cette voix ensorcellante, où le masque du paraitre revient sur tous les visages.
La mise en scène du personnage d'Oto est justement très réussie et bien incarnée, elle apporte avec elle un caractère onirique, de figure fantomatique centrale dans plusieurs relations et surtout dans la vie de Yūsuke.
Je trouve que ce qui fait la grandeur de ce film est le réalisme frappant. Manié avec tant de subtilité qu'il s'en trouve invisible : dans les silences qui parlent, les changements de sujet, les discussions interrompues qui n'arriveront jamais à leur fin. Les mots qui n'ont pas encore été dits, de ce qu'ils pourraient construire ou dévoiler, comme un vêtement qu'une main hésite à retirer, de peur de la suite. La communication comme l'oeuvre intangible de plusieurs volontés, à la fois authentique et stratégique. On peut l'illustrer par la réaction de Yūsuke quand il surprend sa femme en train de le tromper : il ne dit rien de peur que leur relation ne change, de peur de la perdre. Il fait persister ces deux versions d'Oto, la compagne amoureuse et la femme qui partage son corps et ses scénarios avec d'autres hommes, comme si tant qu'elles ne se rencontraient pas elles n'étaient pas incompatibles.
Au-delà de ce thème du langage, c'est la complexité des relations humaines qui est dépeinte à travers le deuil, la culpabilité, et ces questions portées par l'oeuvre de Tcherkov : qui suis-je ? où vais-je ? pourquoi continuer à souffrir ?
Les relations et le langage aboutissent forcément à une projection dans l'autre. Comme lorsque Yūsuke et Takatsuki se rencontrent, ce dernier aimerait avoir partagé la vie d'Oto alors que Yūsuke aimerait retrouver sa jeunesse, sans le fardeau de la perte de sa femme et de sa fille.
Le film a aussi beaucoup de profondeur par ses mises en abime, comme quand Takatsuki dit face caméra "Je l'ai tué" en narrant la fin de l'histoire inventée par Oto. Aussi cette quête de sens et reconstruction de Yūsuke, qui ne peut plus jouer l'Oncle Vania car ce rôle le confronte trop à lui-même. L'identification du comédien à son rôle comme reflet de l'identification qu'on peut avoir aux personnages du film. Un effet miroir parfois douloureux, mais qui se solde d'espoir lorsque Yūsuke reprend le rôle de Vania dans ces splendides dernières minutes. La caméra nous place dans le public de la pièce de Tcherkov. On assiste, le souffle court et dans un silence religieux, au monologue muet de Sonia derrière un Yūsuke qui ne fait désormais plus qu'un avec Vania.