Des français qui s’essaient à l’humour anglais, un tantinet morbide de surcroit, ce n’est pas si fréquent et saluons ici la courageuse tentative.
1937, deuxième collaboration de Carné-réalisateur et de Prévert-scénariste-dialoguiste (après un Jenny inconnu au bataillon). Pour ceux qui seraient plus familier avec le « réalisme poétique » de Quai des brumes ou de Le jour se lève, ne cherchez pas, nous sommes ici dans un tout autre registre.
Adaptation d’un roman de J.Storer Clouston, l’histoire possède son lot d’assassins plus ou moins sordides, de maison dans laquelle tout le monde se retrouve, de quiproquos étourdissants, de foules en ébullition, de titres de presse racoleurs, de grimages imparables et de détectives de Scotland Yard malhabiles.
Ici, point de réelle place pour le drame, nous sommes dans une comédie assumée et farfelue qui ne trouve d’ailleurs à se placer dans aucun sous-genre bien défini. C’est peut-être parce que les Français ne savent pas faire de l’humour anglais, allez savoir, mais ça ne ressemble vraiment à pas grand-chose d’autre… Sur un postulat un peu similaire, L’Assassin habite au vingt-et-un arrivera à un tout autre résultat, tant dans la forme que dans la réussite finale, comme la réussite parfaite après un brouillon qui n’avait finalement rien à voir…
Parce que tout de même, c’est foutrement bancal ce fichu film, les dialogues tombent à l’eau une fois sur deux, les acteurs sont mauvais comme la galle à peu près dans la même proportion, la plupart des jeux de mots sont insoutenables (et c’est moi qui l’affirme, c’est vous dire…), et il nous faut la tendresse que tout humain qui se respecte possède pour le couple principal pour ne pas tomber parfois dans la neurasthénie…
Un couple, qui lui, de son coté, se haïssait d’ailleurs comme les deux cabotins qu’ils étaient, mais qu’importe, Michel Simon en redingote et en fausse barbe et Louis Jouvet en prêtre anglican en kilt, il faut le voir pour le croire…
Autour d’eux, on fait comme on peut, il y a un jeune couple amoureux, un Jean-Louis Barrault abominable dans ses premières scènes mais un peu sauvé par sa cuite avec Michel (mais quelle horrible idée que ce vélo, nom de bleu !!!), un ignoble Pierre Alcover, plus franchouillard que jamais, en détective, une Françoise Rosay terrifiante en femme acariâtre et Agnès Capri qui chante…
Tout cela n’a très vite ni queue ni tête mais un petit charme à l’anglaise tout de même (mais sans l’accent, ça perd beaucoup), des décors charmants dignes d’Alexandre Trauner, des moments savoureux, des bons mots rares mais précieux, enfin, tout ce qu’on demande à un produit aussi hybride que celui-là…
Toutes les tentatives pour apporter à l’histoire un vent de liberté salvateur, une touche de farfelu, voire une pincée de poésie tombent bien entendu à plat de la plus désastreuse des façons, tant on sait bien que les choses légères doivent se faire avec un minimum de sérieux.
Mais on pardonne, on pardonne, parce que Michel Simon va sauver la prochaine scène, entre deux bégaiements, parce que Louis Jouvet va demander à sa petite famille de quitter la table, parce que l’ambiance londonienne ferait tout avaler aussi (même si, sans l’accent…).
Incompris à sa sortie (probablement plus pour ses maladresses d’ailleurs que par une quelconque originalité en avance sur son temps), le film permettra tout de même au duo Carné-Prévert de poursuivre sa carrière avec le succès que l’on connaît, même si dans un tout autre genre…
Difficile de vous conseiller un film aussi manifestement de guingois, mais c’est vraiment dommage… même sans la petite touche de rigueur qui aurait pu en faire une vraie petite merveille, Drôle de drame possède tout de même le charme des films qui ne ressemblent à rien d’autre, et suffisamment de scènes d’anthologies pour vous faire passer allègrement sur ses menues imperfections.