Tout ce qui fait à mon goût les gros défauts de ce que certains ont appelé les chefs d'œuvre du réalisme poétique de Marcel Carné est ici au bénéfice du film, de sa théâtralité loufoque et de son total manque de prise avec une réalité du moment.
Carné découpe parfaitement les idées de Prévert, parfois au mot au mot, parfois à la phrase.
Michel Simon est comme souvent à cet époque inénarrable mais les autres comédiens (puisqu'il s'agit de théâtre) sont à la hauteur de l'"énaurmité" de l'intrigue: régal d'anticléricalisme, de dégoût pour l'esprit de foule mais avant tout pour le plaisir de l'écriture scénaristique, de ces tours de passe-passe, de la réplique parfaite au moment parfait, d'organisation de coïncidences, de quiproquos, de morts dans le placard ou dans le grenier et de placement d'effets comiques ou étranges.
Pour ne rien gâter, l'intrigue, l'air de rien, et les motivations des personnages sont mus par ce sens de l'honneur, du nom et de l'image que tous cherchent à conserver ou sauver et qui les fuient tous temporairement voire définitivement jusqu'à l'effacement de l'identité elle-même... (pour pouvoir toucher un héritage)
Le traitement de ce puits noir philosophique est cependant absolument réjouissant et malin, sans esprit de sérieux aucun, ce que ne seront pas les films suivants...
Lorsqu'on écrit des choses horribles, elles finissent par arriver.
Carné est décidément un homme de théâtre, de ce théâtre qui s'engouffre dans le cinéma du début du parlant après avoir été comme mis à l'écart par l'image. Ce manque pour certains fera sans doute le succès de Carné. On pourrait imaginer Drôle de Drame tourné par Renoir ou René Clair au temps du muet mais certainement pas par Carné lui-même.