Sous le soleil de Kierkegaard... Une ode épicurienne

Pour mon retour dans les salles obscures j'ai longuement hésité, et c'est Drunk qui l'a emporté.


Une fois de plus, enfin de moins, je ne reprendrai pas le synopsis à priori très simple : quatre amis décident, au hasard de la fête des 40 ans(1) de l'un d'entre eux, de saisir une idée et de la mettre en pratique sous couvert d'une expérimentation. Nous sommes bien chez Kierkegaard il n'y a pas de doute (si je puis me permettre) là-dessus.


Le film de Vinterberg aurait un peu la forme d'une courbe de Gauss dans laquelle le corps s'invite, le corps ses potentialités et ses limites. Le corps physique mais aussi le corps psychique.


Dans la première zone de la courbe, j'ai ri, partagé, j'ai même eu envie de trinquer avec eux, si la façon dont Martin, alias Mads Mikkelsen, tenait son verre ne m'avait pas arrêté.
Mais j'avoue j'ai souri, j'ai ri... Puis je me suis souvenue que c'était un Vinterberg.
Puis est arrivé le point de bascule, la situation la plus commune à l'humain : le regard de l'autre. Ce sans quoi les quatre amis n'avaient pas compté dans l'expérience. Et comme Kierkegaard s'adressant à "cet individu unique, mon lecteur", Vinterberg s'adresse à "cet individu unique, mon spectateur " .
Et de nous renvoyer alors à celles et ceux qui, eux-mêmes, nous renvoient aux conséquences de nos actes, de nos décisions.


Pendant la séance, il m'est venu à l'esprit que Drunk serait comme le négatif, ou plutôt le positif, de La Grande Bouffe(2), en ce sens que l'intention est juste à l'opposé : dans La Grande Bouffe il s'agit de mourir par la bouffe, dans Drunk plutôt de toucher la vie par l'alcool.


Avec Drunk, il m'est apparu que Vinterberg tentait de mettre en scène et en acte, certes des personnages vivants et souffrants de trop, de vide, de perfection, de solitude ; mais aussi des incarnations : celles qui meuvent le sujet dans la psychologie (Nikolaj, alias Magnus Millang) ; l'abstraction de la pensée symbolique dans la musique (Peter, alias Lars Ranthe) ; le temps, ou peut-être plutôt les temps dans l'Histoire (Martin, alias Mads Mikkelsen), et le corps, celui que j'évoquais, en mouvement dans le sport (Tommy, alias Thomas Bo Larsen).
Le chef d'orchestre de tout cela résiderait en un prétexte reposant sur une théorie d'un psychologue norvégien Finn Skårderud concernant un taux moyen d'alcool dans l'organisme comme garantie d'un équilibre de vie, la tristesse de Martin servant d'accroche à la mise en oeuvre de la fumeuse théorie(3).


Ce n'est pas d'alcoolisme qu'il s'agit, l'alcoolisme n'est qu'un risque de l'expérience.
Au fond, il m'a semblé qu'il s'agissait surtout de regarder quatre archétypes humains par la focale de Kierkegaard et sa pensée de la subjectivité comme « la subjectivité est vérité » et « la vérité est subjectivité » à l'aune du traitement de cette même subjectivité par la philosophie d'équilibre d'Epicure dans la recherche des actes ne générant pas de douleur, la clef du bonheur étant de connaître ses propres limites ; le sujet comme acteur de sa parole, et c'est bien ce que font ces quatre hommes.
Drunk serait une dialectique psychologique entre l'alcool, les arts, la paix et la guerre, la vie et la mort.
Et le film traverse le monde à travers le corps des protagonistes, jusqu'à l'abîme.
La clé est donnée : nous ne sommes pas égaux face aux événements du monde, tout dépend de notre aptitude, de notre lecture, du moment, de l'autre avec qui on le partage, si jamais on le partage. Mais quelle porte ouvre-t-elle ? Là est toute la subtilité du film, dont les deux dernières scènes sont les signatures et dont la lecture appartiendra à chacun.e d'entre nous, selon le moment, l'état d'esprit, l'autre du partage...
Mais ce qui est certain, c'est qu'il y aura un avant et un après l'expérimentation et comme toujours un avant et un après l'opus de Vinterberg.


"On se souviendra de toi", aurait pu être le titre de ma chronique ; car c'est aussi l'histoire de l'oubli et du souvenir, de la transmission, des lieux et des enjeux, de l'engagement et de l'abandon.


Bonne séance !!!


(1) Kierkegaard étant mort à l'âge de 42 ans
(2) https://www.senscritique.com/film/La_Grande_Bouffe/448396
(3) théorie depuis réfutée par son auteur ;-)

Créée

le 21 mai 2021

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Agyness-Bowie

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