Avant Ben Stiller, il y avait Bernard Menez
C'est typiquement le genre de film qui me fait peur, et que je n'aurais jamais pris l'initiative de voir si on ne m'avait pas forcé la main...
J'en frémis toujours d'avance au combo infernal : film français + nouvelle vague + 2h30 + pas de scénario + improvisation.. Je ne dis pas que ça sera automatiquement mauvais, non, mais c'est tout de même une crainte redoutable de m'emmerder. Et surtout j'ai beaucoup de mal à admettre qu'on dépasse les 2h pour un film, alors si c'est pour avoir un argument qui tienne sur un demi post-it, ça peut vite tourner à la séance de torture.
Et là, on en est pas loin.. Pendant les 40 premières minutes..
Le film suit trois gourdes qui décident, le temps d'une semaine de septembre, de partir pour les vacances les
plus nazes de la galaxie : La Vendée où à cette époque de l'année, il n'y a pas un rat, à 100 kilomètres à la ronde, si ce n'est trois paysans de 70 balais.
Bref, ça va être palpitant, et nos trois amies semblent pourtant particulièrement heureuses, même si on n'est jamais très loin de l'aliénation. Elles piaffent, rigolent, gloussent absolument en permanence à tel point qu'en fermant les yeux, on pourrait se croire dans un poulailler.
Elles essayent des sabots trouvés dans un placard, et elles tapent le sol avec, et ça les fait encore plus marrer, elles mangent des gaufres, comble de l'hilarité, et la meilleur vanne ça doit être le moment où avec des voix ignobles de perroquets, elles disent " du côté d'ORRRrrrrrrrrrrrrrrrrrouuuuuuuuette"' (un patelin dans le coin qui ne sert à rien, si ce n'est à les faire rire pour des raisons que j'ignore).
Bref, des envies de meurtre qui ne cessent de croître, et je commence à penser que je vais lourdement regretter cette séance imposée.
Bon, je suis pas misogyne, mais cette longue introduction c'est vraiment mon cauchemar quoi, le "Film pour bonnes femmes", avec toutes ces discussions foncièrement passionnantes, que j'ai naturellement tendance à esquiver, du genre : quid du régime alimentaire ? et si on faisait un peu d'exercice ? Si on allait faire bronzette à la plage ? Blablablablablablabla... L'horreur, et maintenant je songe au suicide (ce qui concrètement se matérialise par la note de 1 pour un film, dans mon barème personnel).
Et puis la libération..
La tempête s'abat sur leur baraque moyenâgeuse, et apporte avec elle un nouvel arrivant inattendu, venu se réfugier, BERNARDO MENEZ!!!!
A l'image de Soumitra Chatterjee dans "Charulata" de Satyajit Ray, qui arrivait dans la maison de Charulata en amenant une tempête terrible dans ses bagages, promesse métaphorique de vrais bouleversements dans un univers statique et ennuyeux, la simple arrivée de Bernardo va tout révolutionner!
(Il faut savoir que Bernard Menez était présent dans le prologue du film, et qu'il était le chef de bureau bien lourd de l'une des trois nanas, et qu'il voulait les coller comme une infâme glu durant leurs vacances, donc sa présence n'est pas un hasard, même s'il essaye de le cacher tant bien que mal).
Bernardo, c'est l'archétype du bouffon, du gros lourd, du gogo qu'on exploite, et dont on se moque. Et enfin, un intrus dans cet environnement anxiogène. enfin une vraie tension s'installe, ainsi qu'une vraie mise en scène qui se met en place à base de faux semblants, de jeux de regards, de moquerie dissimulée, et cette bonne poire de Bernardo aussi courageux que bébête, se retrouve cernée entre ces trois harpies sans pitié.
Surtout, c'est l'arrivée de Bernardo qui va permettre de révéler les personnalités propres à chacune des jeunes filles, alors que jusque là, il était quasi impossible de les différencier, puisqu'elles ne faisaient que rire ensemble, et que globalement elles se ressemblent pas mal, il était presque impossible de savoir qui était qui.
Il y aura celle qui se joue de lui en permanence et qui le pousse dans ses retranchements avec un plaisir sadique, celle qui l'ignore royalement et qui ne peut pas le voir en peinture (bizarrement celle qu'il connaissait déjà à Paris tiens), et une autre qui ne fait rien (j'en déduis donc qu'elle est le personnage inutile du film, menfin...)
On est là dans le coeur du film, où Bernardo qui porte le film, va essayer de s'acclimater, et ça devient particulièrement drôle, insouciant, il y a même de la bonne vieille zik pop des 60's.. Et ça devient hyper immersif avec un enchaînement de séquences très réussies et très dynamiques, avec une tension toujours grandissante entre ces 4 personnages (sérieux on peut même se demander parfois si ça va pas finir en partouse)..
Et un 5ème qui débarque, et qui va foutre encore plus la merde, le jeune bellâtre qui les tombe toutes, skipper à ses heures perdues, avec des scènes mémorables : celles sur le bateau à voiles, qui font parti des plus impressionnantes scènes de bateau que j'ai pu voir (j'ai même presque réussi à avoir le tournis), les scènes à cheval, Bernardo qui fait l'andouille avec des anguilles...
En fait, c'est con, mais à un moment on se croirait presque en vacances avec eux.
Et j'aime beaucoup une séquence de repas, où les 5 personnages sont réunis, et où en même temps Bernardo essaye de s'imposer et de se faire entendre en parlant à voix très haute en expliquant comment ouvrir une huître à partir de théories sur les poches d'air, alors qu'au même moment, le skipper accapare toute l'attention des jeunes filles en fleur jalouses entre elles, alors qu'il ne parle qu'à voix basse et en comité réduit.
L'ambiance arrive à être suffisamment immersive, pour réussir à me rendre passionnante cette séquence où Bernardo cuisine quasiment en temps réel et de manière assez bouffonnesque une soupe au poisson, avec un suspense redoutable "va-t-il réussir son plat ?", mais plus simplement, la question cruciale qui commence à se poser en filigrane : que fout-il ici ? Que cherche-t-il ? Pourquoi persévère-t-il à traîner avec ces gourdes qui manifestement se payent sa tronche ? Il y a un vrai mystère qui grandit, et surtout avec ce 5ème protagoniste, Bernardo devient malheureusement de plus en plus indésirable.
La façon dont ces vacances se concluent est peut-être un peu en dessous du reste, pas forcément très bien jouée (du côté de Bernardo, même si ça n'est que son premier film, on sent que c'est un acteur plus à l'aise pour jouer le bouffon, que pour jouer la corde dramatique plus sensible).
Les trente dernières minutes s'étirent en longueur, jusqu'à la scène finale, où, encore une fois, l'intelligence de la mise en scène, les jeux de regard et les non-dits en arrière-plan, arrivent à rendre prenante une séquence de bavardage potentiellement la plus chiante du monde.
Bref ça m'a fait l'effet de vacances s'annonçant bien pourries, et qui au fur et à mesure, se révèlent assez surprenantes en bien.
Donc un bon petit film sympa comme tout, mais je ne sais pas si c'était la peine de faire aussi long. Enfin c'est toujours la même question. Est-ce que l'arrivée de Bernardo aurait été si percutante sans cette mise en place aussi longue qu'éprouvante ? Par contre la fin traîne trop, il y a certes un petit côté mélancolique qui demande du temps pour grandir, mais là c'est quand même exagéré, et il doit manquer quelques coupes.
PS : Bernardo et son calme légendaire, avec François Damiens qui le torture en lui chantant "OH OH OH Jolie Poupée" dans son faux taxi, ça n'a pas de prix :
https://www.google.fr/url?sa=f&rct=j&url=http://www.lembrouille.com/cameras-cachees/francois-lembrouille-piege-bernard-menez&q=&esrc=s&ei=oJ8LUsmoCIKPO-OegdgI&usg=AFQjCNFDJR2BTKfYZOADys_vPYqwhlFc5Q