Résumé : Trois jeunes femmes vont passer des vacances dans une villa face à la mer, et elles sont rejointes par le collègue de travail de l'une d'elles, qui s'incruste. Sans lui faire comprendre vraiment clairement que sa présence dérange, elles le taquinent un peu chaque jour.

J'avais envie de voir le film, et je n'ai vu après qu'il durait 2h30, et pour un film type Nouvelle vague (quoiqu'apparemment il ne fait pas exactement partie du mouvement), ça pouvait être vraiment long, mais ça ne m'a pas (trop) découragé pour autant.
Il y a quand même des problèmes par rapport à ce statut du film, qui fait évidemment entendre des moyens plutôt réduits.
Et encore, j'ai pu remarquer que les problèmes posés venaient aussi bien du budget que de l'incapacité du réalisateur à vraiment faire avec.
Rien que dans une des premières scènes, il y a un plan fixe où on ne sait pas qui parle, le son est en mono alors on ne sait pas d'où il vient, et on ne reconnaît bien sûr pas les voix puisque nous venons à peine de connaître les personnages et pour certains nous ne les avons pas encore entendus.
Le cadre restreint est fait volontairement de sorte à ce qu'on ne voie pas ceux qui parlent, enfin je crois, je n'en suis pas certain, car à la fin de l'échange je n'ai pu repérer qu'une seule des deux personnes qui parlaient. Je ne sais pas si l'autre était cette personne dont la tête est en amorce, de dos, ou si c'est quelqu'un d'hors-champ. Les regards des autres personnages lors du plan, tournés vers une seule des interlocutrices, ne permettent pas non plus de savoir qui est l'autre.
A un autre moment, on est encore plus perdu dans l'espace. Il y a deux femmes dans des lits côte à côte, qui discutent, et alors qu'on croit avoir eu droit à un champ-contrechamp tout du long, à la fin de l'échange on ne comprend plus rien des positions. C'est très bizarre et difficile à expliquer, mais quelqu'un arrive dans la pièce, attirant l'attention des deux femmes qui relèvent la tête, et alors que la personne semblait être derrière les lits, elle se retrouve devant. J'ai dû repasser la scène au moins 5 fois pour comprendre que, lors de ce que je pensais être un champ-contrechamp, les deux femmes étaient en fait tournées vers une direction différente l'une de l'autre, et donc à chaque plan sur elle, on sautait l'axe des 180°. En plus de ça, pour perturber encore plus, l'une d'elles change sa tête de direction dès lors que l'autre personne arrive dans la pièce.
(note à moi-même : c'est vers la 41ème minute)

Ce que j'ai évoqué ci-dessus, c'est la faute à Rozier essentiellement, quoique la scripte (ou personne chargée de la "continuité" comme c'est indiqué au générique) ou quelqu'un d'autre aurait pu avoir son mot à dire aussi.
Il faut aussi blâmer dans certains passages le mixage son vraiment naze. Quand les filles fouillent sous l'escalier de la villa, le bruit est trop exagéré, je ne sais pas si c'est un bruitage inapproprié ou les actrices à qui on a dit de faire un boucan qui devient peu crédible, mais finalement après les bruits des sabots sur le sol correspondent assez bien à ce qu'on voit à l'image pour laisser penser qu'on a droit à du son direct. Alors je ne sais pas si il faut reprocher un bruitage pourri, ou du son réel amplifié dont il aurait fallu baisser le volume, mais en tout cas il y a un problème.
Et d'autres fois, on n'entend pas bien ce qui se dit, on ne comprend pas.
Concernant la musique, au générique du début on nous annonce une bande-son que l'on doit à trois personnes différentes, mais les trois éléments de la BO qu'on entend dans le film, les trois seuls si on excepte les diffusions à la radio, sont en fait la seule et même chanson. Elle est au générique de début, puis est replacée à deux autres moments un peu au hasard, comme si le réalisateur s'était dit qu'il manquait un peu de musique, au bout d'une heure.
La chanson en question est cheap, répétitive, mais j'aime bien les quelques rares paroles qu'elle comporte, qui dit en gros "generations come and go".

Pourtant, même s'il ne se passe pas grand chose, la musique ne m'a pas manqué pendant la première heure. Peut-être même que tout le film aurait pu s'en passer, il aurait fallu voir ce que ça aurait donné.
Evidemment, le film veut se rapprocher autant que possible d'un certain réalisme. Quitte à avoir des scènes qui, honnêtement, sont inutiles (mais là je ne dis pas ça négativement).
J'ai bien aimé ce sentiment de réalisme justement, j'ai apprécié ces preuves que le réalisateur a observé les futilités de la vraie vie pour les replacer dans son film. On voit des choses qu'on ne voit jamais normalement au cinéma : une femme qui répète à un autre personnage, qui n'a pas entendu ce qu'elle disait, la remarque qu'elle faisait à quelqu'un d'autre ; à un moment l'une des femmes demande aux autres "vous n'avez pas soif ?", sans qu'elles répondent, comme si elles n'avaient pas fait attention, et à la place elles rient d'une blague énoncée juste avant.
Ca rend très bizarre le passage où une des femmes évoque ses souvenirs d'enfance directement face à la caméra, une fois arrivée dans sa maison de vacances. C'est d'autant plus surprenant que c'est une situation isolée qui n'est reproduite à aucun autre moment du film.

Si on pouvait définir des "types" des femmes, celles de Du côté d'Orouët seraient des "ricaneuses", elles ne font pratiquement que ça pendant la majorité du temps, elles sont vraiment comme des gamines ; elles ont aussi peur des bêbêtes comme les anguilles ou les crevettes. En plus de ça, ce sont des "ricaneuses" plutôt ordinaire, qui ne font rien de spécial à part blaguer sottement pendant la première demi-heure.
Et par un plan frontal marquant la surprise (la notre et celle des personnages), voilà que débarque Gilbert, le collègue de travail plutôt collant de Joëlle, une des trois copines.
Les rapports entre les deux employés de la même boîte ne sont pas bien définis, ça reste vague, mais en même temps on n'en a pas besoin, le spectateur arrive plus ou moins à la définir lui-même, tant on peut voir de quoi il s'agit, en ayant forcément en têtes des gens que l'on connaît et/ou des situations similaires. De toute façon, une relation, et surtout une comme celle-là entre une femme normale et un type comme Gilbert dans le genre freluquet un peu casse-pieds qui essaye de s'imposer auprès des autres, il est impossible d'expliquer comment elle s'établit, et Rozier peut se permettre de simplement s'appuyer sur le vécu du spectateur.

J'ai hésité, ne sachant pas trop si on pouvait croire à cette scène où Gilbert ne répond pas aux filles quand elles lui font remarquer l'incohérence de son mensonge sur la raison de sa présence "par hasard" là où elles passent leurs vacances, par contre d'autres situations donnent une grande impression de réel, et Rozier vise incroyablement juste, par exemple quand les filles éclatent de rire avec leur private joke autour d'Orouët, tandis que Gilbert est à part, ne comprenant pas, et à le voir on comprend qu'il se peut qu'il croie que c'est de lui qu'on se moque.
J'aime vraiment ici, mais aussi dans les films en général, quand un réalisateur/scénariste sait faire preuve d'une très bonne observation du monde réel, et arrive à reproduire dans des fictions des situations qu'il serait très difficile rien que d'expliquer. Evidemment, il faut qu'en face de l'écran il y ait un spectateur qui comprenne à quoi le cinéaste fait allusion, mais quand c'est le cas, c'est formidable que de reconnaître le réel dans un film, comme si on n'avait pas seulement compris ce que veut dire le film mais que celui-ci aussi nous avait compris.

On n'a pas les mêmes attentes en allant voir Du côté d'Orouët qu'une comédie à proprement parler bien sûr, on le trouve amusant comme le serait une soirée entre amis où on n'a rien à faire. On rit, mais sans que ce qui arrive soit si drôle que ça, à moins d'être impliqué dans ce qui se passe. Au moins, les acteurs semblent vraiment s'amuser, laissant penser qu'il y a aussi eu une grande part d'improvisation sur le tournage, et c'est plutôt communicatif.
Dans une certaine mesure, on peut rire de la scène des anguilles, où celle où une des copines s'accroche simplement à un de ces appareils à roue qui permettent de transporter un voilier hors de l'eau.
Le film est marrant aussi parce que le personnage de Gilbert, très bien casté par ailleurs, est clairement un loser qui est martyrisé par les filles qu'il veut mettre dans son lit.
Là aussi, on retrouve ce qu'on a sûrement déjà croisé en vrai, dans les caractéristiques de cet individu qu'est Gilbert, si bien dépeint.
Le type veut bien faire, mais il est trop plein d'attentions pour ne pas en devenir énervant, à conseiller par exemple à une des femmes de manger son plat avant qu'il ne soit froid, ne se rendant peut-être pas tellement compte qu'elle ne veut pas toucher à son repas, étant lasse, à cause de lui certainement.
Cet homme est particulièrement gênant lorsqu'il essaye de faire comprendre, sans trop oser demander, qu'il souhaiterait rester avec les filles, en campant dans leur jardin. Il s'impose comme le ferait quelqu'un qui veut forcer les choses, espérant ainsi améliorer les relations avec certaines personnes ; même quand une des filles dit aller prendre un bain de soleil, il veut venir, le sot !

Gilbert doit se demander, au fil du film et au fur et à mesure des scènes avec les filles, avec laquelle d'entre elles il a le plus de chances. Et nous aussi, on peut s'interroger là-dessus en même temps, à le voir danser avec l'une des copines, ou faire la bise à une autre.
Il se rend bien compte quand même un peu qu'il pèse sur ces 3 amies, au moins sur certaines d'entre elles. A la bougonne Joëlle qui lui résiste toujours, il finit par demander confirmation comme quoi, après tout, elle n'a quand même pas passé une si mauvaise journée en sa compagnie. C'est un "relevé" qu'il fait là, sentant bien que c'est loin d'être gagné avec elle, il tente au moins de savoir si la situation n'est pas si grave que ça pour lui.
De leur côté, les filles ne restent pas inactives, puisqu'elles vont flirter avec Patrick, un gars du coin qui possède un voilier.
Mais si Rozier montre bien que son personnage de Gilbert n'est pas qu'une simple figure d'idiot dont on peut se moquer allègrement, mais un type suffisamment intelligent pour comprendre qu'on se paye un peu sa tête, il ne fait pas non plus de ses héroïnes des personnages à une seule facette, il leur donne plus de profondeur en ne les faisant pas céder trop facilement à Patrick.
Alors qu'on pensait que c'était tout vu avec lui, tout d'un coup quand cet homme les tutoie, certaines d'entres elles disent ne pas aimer ça. On s'y attend pas, et c'est terriblement intéressant, cette discussion sur le tutoiement, ça replace les choses sous un angle totalement nouveau.

Au début du film, j'avais fait le rapprochement entre Du côté d'Orouët et le slasher : 3 femmes seules qui se rendent dans une vieille villa, pour se marrer comme des idiotes la plupart du temps, et ces looks parfois très 70's/80's font penser qu'à un moment elles vont de faire découper en morceau. Surtout qu'il y a des passages où elles sont surprises par l'arrivée de quelqu'un, ou où l'on frappe à leur porte sans savoir de qui il s'agit.
Néanmoins, je n'ai pas eu à penser "pffou, j'aimerais qu'un tueur débarque pour les lapider", car il était suffisamment intéressant, ce film.
Le côté "film de vacances" a failli finir par me peser, mais dans la dernière demie heure, les choses bougent, et m'ont fait presque adorer l'ensemble.
Gilbert se fâche, il prouve qu'il comprend qu'on se moque de lui, et fait part à l'une des filles des espoirs qui étaient les siens quand il est venu les rejoindre à cette villa. Sa timidité et son hésitation lors de la révélation, encore une fois, transmettent un vrai sentiment de réalisme.
Quand on y pense, même si les filles ont fait preuve de ce qui pourrait s'apparenter à de l'affection pour lui, en lui réclamant une bise par exemple, ça a été en le voyant non pas comme un homme, donc une personne avec une sexualité, mais un gosse. Par exemple, plusieurs fois elles lui ébouriffent les cheveux.

Bon, sur 2h30 je ne dis pas qu'il n'y a pas de quoi s'ennuyer, mais j'ai beaucoup aimé ce film pour m'avoir prouvé qu'au cinéma, on pouvait représenter avec exactitude certaines choses de la vie réelle, même si elles semblent trop compliquées pour être expliquées, et donc encore moins recréées dans une fiction de façon compréhensible.
Et c'est en partie pour savoir si il était possible de faire ça que j'ai vu le film, donc je suis content.
La toute fin, par contre, est toujours dans la même optique, mais exprime une chose avec trop d'insistance, ce qui devient un peu lourde (tous ces regards, comme si on n'avait pas encore compris).
Ah et puis le film nous fait partager des discussions entre filles, qui se chuchotent à l'oreille pour savoir que faire, que penser d'un mec. Ca, c'était cool.
J'ai critiqué les défauts du film sur le plan technique, et encore Rozier n'est pas trop malhabile avec une caméra car il construit assez bien certains plans et m'a fait plaisir avec certains gros plans sur les visages (et les yeux, n'oublions pas les yeux !), mais je comprends un peu maintenant ce qu'on nous disait sur Pialat : ce qui compte pour lui, ce n'est pas un raccord vraiment logique (il passe de la nuit au jour comme il veut), tant que le "raccord émotion" fonctionne.
Du côté d'Orouët, sur le plan émotionnel, fonctionne très bien, et ça c'est l'important.
Je recommande, c'est important.

Après-propos :
Le film n'est passé que dans une seule salle à l'époque. Pas étonnant qu'on m'ait dit qu'il avait été un bide. Déjà, ce serait impossible de faire un film pareil de nos jours, parce qu'aucun producteur n'oserait s'engager sur ce projet ; à l'époque c'était la mode de la nouvelle vague, etc.
Et aujourd'hui, on a quoi comme film qui sort dans une seule salle ? "Alice ou les désirs" ? Alors ça, si ça devient un film important un jour...
Ah, et on a fait la comparaison entre La vie au ranch et Du côté d'Orouët, la différence c'est que Rozier sait où il va, et il raconte vraiment quelque chose.

Une dernière chose, l'actrice Caroline Cartier, celle dont les yeux et le visage m'ont le plus marqué, a joué dans La vampire nue de Jean Rollin. Et elle est morte en 1991, à 42 ans ; c'est triste.

Bon sinon, c'était le mois dernier, présentation du film par le réalisateur à Tours, j'aurais voulu y être mais même en l'ayant su à l'époque, je n'aurais aucunement pu y aller :
http://www.lanouvellerepublique.fr/LOISIRS/Cinema/Actu-cine/CINEMA-Jacques-Rozier-a-Tours-aujourd-hui?sondageNodeID=1784572
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le 6 nov. 2011

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Wykydtron IV

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