Du silence et des ombres qui est un classique plutôt méconnu en France est un plaidoyer pour plus de tolérance. D'abord ne pas s'arrêter au titre du film plutôt passe-partout évoquant la vie quotidienne dans un monastère trappiste. Plusieurs autres titres auraient pourtant fait l'affaire: Minuit dans la Forêt du Bien et du Mal; la Nuit du Chasseur de Silence ou même les Rednecks à vif. Pourquoi ne pas avoir laissé le titre original américain To Kill a Mocking bird inspiré par le roman célèbre dont le scénario est tiré (Halte au feu! Pas sur l'oiseau moqueur!), ou sa traduction en français, Ne tirez pas sur le moqueur polyglotte qui aurait eu au moins le mérite de figurer sur ma liste de noms d'oiseaux,


Inspiré par le Southern Gothic, mélange de réalisme et de macabre, on ressent en permanence une tension entre le réel et les éléments surnaturels. La description de la misère profonde des paysans du Sud et des antagonismes de classe, à la manière d'Erskine Caldwell et le compte-rendu fidèle de l'audience d'un procès pendant une vingtaine de minutes côtoient les évocations d'une maison soi-disant hantée, où un "monstre", appelé fort à propos Boo, cristallise toutes les peurs enfantines. Boo, interprété par Robert "J'adore respirer l'odeur du napalm le matin" Duvall se révèlera être un marginal, un asocial, plus victime des préjugés que réellement dangereux.


Du silence et des ombres s'inspire fidèlement du Bildungsroman, roman d'apprentissage où les enfants vont constater l'injustice, la haine raciale, l'intolérance envers les marginaux et apprendre de leur père avocat que l'on peut garder sa dignité en luttant à contre-courant de la majorité, à défaut de gagner à tous les coups.


On a pu reprocher à Robert Mulligan, cinéaste de l'enfance, un moralisme trop appuyé, ce qui n' est pas faux, surtout de nos jours. Mais rappelons que le film date de 1963 et qu'à cette époque dénoncer les inégalités de traitement en fonction de la couleur de peau n'était pas si évident. Harper Lee, l'auteure du livre eut bien des problèmes à cause de ça. Affublée du surnom infamant de l'Harper du Noir, elle fut obligée de rester cloitrée chez elle la nuit, à Monroeville, Alabama. Plutôt que de lutte entre le Bien et le Mal, il s'agit de l'affrontement entre le caractère indestructible de la vie incarnée par les enfants face au respect des codes de la société sudiste incarné par Bob Ewell, le méchant. Sa motivation est avant tout le conformisme: en Alabama une fille blanche ne doit pas embrasser un Noir; et pour cette raison son père se voit obligé de la corriger violemment au point de laisser des traces. Et comme un père ne doit pas frapper sa propre fille, ce ne peut être aux yeux de la société qu'un Noir qui l'a frappée, en essayant de la violer. Bob Ewell est un homme de devoir, en quelque sorte.


Homme de devoir, Atticus Finch l'est assurément. Généreux, idéaliste, il combat seul contre tous, tel El ingenioso hidalgo de la Mancha. A deux doigts (ou plutôt à deux lettres ) de subir la loi de Lynch de la part des rednecks raides dingues, il aurait pu jouer le chevalier blanc défenseur du Noir dans une indifférence grise. Mais voilà, le charisme phénoménal de Grégory Peck (le canon de ma daronne) sublime le personnage, jouant là son meilleur rôle de son propre aveu. [Et moi de rajouter un point de plus à ma note sous la pression féminine]. Il est tellement brillant dans sa plaidoirie que l'on pourrait le soupçonner un instant d'avoir violé lui-même Mayella, la fille de Bob Ewell, en lieu et place de l'accusé. En effet comment peut-il connaître aussi bien les moindres détails de l'affaire? Et les désirs les plus secrets de Mayella? Et n'est-il pas lui-même veuf, sans aucune compagne connue?


Mais ne laissons plus planer le doute. Atticus Finch est la figure idéalisée du père, le paterfamilias dans sa plus noble expression. Et en même temps qu'un film sur l'enfance, Du silence et des Ombres est un film sur la responsabilité paternelle. Il n'y a qu'à écouter comment Atticus s'adresse à la petite Jean-Louise, surnommée Scout, toujours prompt à corriger ses erreurs de jugement. Comment il vante à son fils aîné Jem la justice et la tolérance. Il se montre de même protecteur envers Dill, le copain des deux enfants. Celui-ci, vivant seul chez sa tante acariâtre, semble manquer d'autorité paternelle. Bien plus tard le petit Dill, devenu célèbre sous son nom de Truman Capote, se souviendra des leçons d' Atticus Finch et de sa protection. Et aussi de la violence prête à exploser à tout instant, dans son roman "De Sang-froid". Et quand le Mal surgira à l'improviste dans la forêt la nuit, dans toute sa barbarie, on se demandera avec inquiétude comment les enfants feront pour s'en tirer (Non! Pas sur l'oiseau moqueur!). Mais les morts enterreront les morts. Et le twist final, totalement imprévisible, conclut Du silence et des ombres en y apportant un éclairage supplémentaire.

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le 26 févr. 2017

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