J'ai vraiment été conquis par ce film. Antonio Pietrangeli est un véritable cinéaste de la femme, voire des femmes, car il y a toujours une grande solidarité entre elles dans ses films. Ce film est très simple, que ce soir dans la narration ou même dans sa plastique, mais tout semble tellement aller de soi qu'on ne peut qu'être admiratif. D'autant plus que c'est un film très nuancé, et même ambigu à certains moments.


Le film rappelle forcément Je la connaissais bien, du même réalisateur, un film admirable, que j'avais moyennement aimé pourtant, car je ne m'étais pas tant que ça attaché au personnage principal. Alors que j'ai tout simplement adoré Celestina ! La trajectoire de ces deux personnages est différente, mais leur destin est proche, et on les mêmes intentions finalement, le suicide. Mais Je la connaissais bien est un film bien plus pessimiste, sur la vanité. Ici, le film me semble malgré tout moins pessimiste, il y a quelques lueurs d'espoir je trouve.


Que cette femme est attachante en tout cas ! Pietrangeli la sublime, elle est en état de grâce, et le début fonctionne si bien, elle, qui est si paumée, elle la paysanne qui arrive à Rome et qui ne sait s'intégrer, qui est si maladroite... mais si rayonnante ! Je me suis tellement identifié à cette femme alors que ce qu'elle vit n'a rien en commun avec ce que j'ai pu vivre. Mais le film est si bien construit, il y a un gros travail d'immersion qui fait qu'on entre dans le personnage, qu'on semble être cette femme pendant tout le film. Nous sommes Celestina ! Et il y a une telle force qui ressort des collectivités de femmes dans les films de Pietrangeli ! Toutes ces femmes, qui ont la même condition sociale finalement, mais ayant chacune des trajectoire différentes, se soutiennent, mais un soutien parfois taquin, parfois doux, mais une véritable force collective semble en émaner.


Il y a un regard assez nuancé sur le déterminisme social. Bien sûr, Celestina restera toujours cette paysanne ; elle ne deviendra jamais véritablement romaine, tout le contraire du très bon film de Luc Moullet, Brigitte et Brigitte, où celles-ci deviennent complètement parisiennes au point d'en oublier d'où elles viennent. Mais tout cela sera finalement remis en cause par l'amour qu'elle porte pour Fernando ! Toute la force du film vient de cette romance ambiguë, car on ne sait jamais véritablement comment ça va tourner. On se doute qu'il y a quelque chose qui cloche, qu'il y a une sorte d'oisiveté derrière Fernando, et tout cela se confirme quand on apprend ses intentions de mariage avec la soeur de son associé, et donc tous les mensonges qu'il a pu sortir. Et pourtant, on ne cesse de douter, on sent qu'il y a quelque chose qui l'attire vers cette femme, et au final, on ne sait jamais véritablement s'il l'aime vraiment ou non... Il y a ainsi une tension forte, crescendo, jusqu'à cette fin remarquable, où Fernando se rend compte de son attitude vénal, mais c'est bien sûr trop tard. La construction est assez géniale ; dans les dix dernières minutes du film, on se demande finalement, après ce suicide raté, si le film se terminera en happy-end ou non ! Lors de la ‹‹confession›› de Fernando à Celestina, il est impossible de savoir ce qu'elle va lui répondre, j'étais tout aussi paumé qu'elle pouvait l'être. Mais il est trop tard ; le pacte d'amour est rompu. Terrible fin, donc, mais il y a cet enfant ; Celestina devient une de ces nombreuses femmes, quelque peu abusée sentimentalement, et qui finissent seules avec leur enfant à éduquer. Elle n'en devient pas romaine pour autant ; mais elle reste cette femme misérable et malheureuse, comme le sont toutes ces autres bonnes. Marcella le dit, à la toute fin : nous avons tous nos malheurs ; mais elle s'en relèvera, et restera dans sa condition.


C'est un film dur et quelque peu pessimiste, mais tout de même nuancé ; c'est l'histoire d'une vie finalement, d'une vie d'une pauvre femme seule qui doit affronter tout un monde. Il y a tant de Celestina ! Mais l'oeuvre de Pietrangeli ne sombre jamais dans un certain misérabilisme. C'est simplement un film profondément vrai, un film évidement cruel, mais qui regorgent de scènes drôles, sympathiques et surtout gracieuses. Un très bon film, tout en nuances ! Certainement le Pietrangeli qui m'a le plus touché.

Reymisteriod2
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le 7 janv. 2020

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