Premier hit certifié d'un certain Steven Spielberg, Duel est avant tout la rampe de lancement qui va envoyer le cinéaste en orbite (d'où il n'est toujours pas redescendu d'ailleurs). À l'origine, une nouvelle de Richard Matheson. En ligne droite, simple et d'un seul tenant. À la lecture, Spielberg jubile. Voilà un projet qui va lui permettre de marcher dans les traces d'un de ses modèles, Alfred Hitchcock. Produite pour quelques 400.000 dollars, la transposition télé est l'étape suivante logique pour le jeune réalisateur (qui vient de signer quelques épisodes de séries, parmi lesquelles Columbo). Oui, Duel était d'abord un téléfilm. Et c'est là que le génie de Spielberg entre dans la partie, puisque son ambition artistique à elle-seule va propulser le projet au-delà de sa catégorie.
À l'arrivée, le film s'impose comme l'un des tops départs les plus foudroyants jamais vu pour un metteur en scène. Rien que sur le cadre, Duel est un morceau de bravoure ininterrompu. Puisque l'intrigue se limite à une poursuite dans le désert, Spielberg décide s'en sert comme le terrain de jeu pour expérimenter tous les angles et toutes les valeurs de plans à disposition : panoramique, caméra embarquée, voiture-travelling, steadycam, plan débullé, décadrage, hors-champ,...Une véritable mine d'or créative, renforcée par un montage proprement fabuleux, jouant à merveille sur la notion de menace (que Spielberg confirmera dans Les Dents de la Mer). La base admirablement dépouillée de Matheson est habillée par un sens du rythme imparable et des points de bascule intelligemment placés. Je pense notamment à l'apparition d'une voix-off, prolongeant l'enfermement progressif du spectateur, qui n'est plus seulement cloisonné dans la voiture mais dans la tête de son malheureux propriétaire (formidable Dennis Weaver). Ou la séquence du passage à niveau, où le découpage devient fou furieux.
L'autre bonne idée du film est de laisser le fantastique se frayer une place dans un récit à priori tout ce qu'il y a de plus terre-à-terre. En dépersonnalisant l'antagoniste, Duel prend des allures de western motorisée entre l'homme et la machine, simultanément planche de salut et moyen de mort sur roues. On en arrive presque à une abstraction, uniquement dirigée par la mécanique (du suspense) et le mouvement. Peu importe donc que le film s'essouffle légèrement dans son dernier quart. Le spectacle était de très haute volée, et la virtuosité de son orchestrateur terrassante. Il ira loin celui-là...