Duel : Le thriller routier culte de Steven Spielberg

S’il y a bien un téléfilm à visionner d’urgence, c’est bien celui-là ! Son importance a eu un impact autant sur son public que son metteur en scène.


Alors qu’aujourd’hui, les réalisateurs se tournent vers les chaînes câblées OCS, HBO ou les plateformes de SVOD pour retrouver un espace de créativité permettant d’aborder des univers inédits dans des séries ou films (Roma ou La main de Dieu par exemple) en raison de la crise artistique que traverse le cinéma actuellement.


Au moment de la diffusion à la télévision de Duel (1971), ce n’était clairement pas le cas en raison des budgets serrés et des délais très courts pour mettre en image les contenus souhaités par les chaînes, bridant la vision des cinéastes favorisant les œuvres sortant au cinéma. Et pourtant, un très jeune réalisateur, qui allait en devenir un des plus influents à Hollywood par la suite, a fait le pari insensé de commencer par la télévision pour faire ses preuves, tout en conservant sa vision d’artiste.


S’étant fait la main sur des épisodes de séries, il souhaite s’atteler à l’adaptation d’une nouvelle de Richard Matheson. Ce dernier n’est ni plus ni moins qu’un excellent nouvelliste et scénariste ayant marqué par son écriture très cinématographique la série emblématique : The Twilight Zone. Cette association Spielberg/Matheson va donner vie à l’un des téléfilms les plus importants et intéressants que j’ai pu voir, encore aujourd’hui. Chaque visionnage est un véritable plaisir afin d’apprécier la maîtrise et l’économie des techniques de mises en scène pour insuffler une tension continue à ce magnifique thriller routier, jusqu’à la magistrale scène finale.


Venant tout juste de mettre en boîte l’un des pilotes d’une série qui allait marquer le petit écran (Columbo), le patron de la chaîne CBS, étant satisfait du résultat, lui donne le feu vert pour en réaliser son adaptation en 10 jours. Mais là où Spielberg va dynamiter les téléfilms à l’ancienne, c’est en imposant le choix évident de tourner en extérieur, plutôt qu’en studios. Remportant son combat face aux impositions souhaitées par la chaîne en 13 jours au lieu de 10, Duel va remporter un succès indéniable et mérité autant pour son public que pour la presse.


D’une durée initiale de 74 minutes, on suit d’entrée le quotidien d’un homme faisant de la route pour honorer un rendez-vous important. C’est le héros ordinaire typique, parfaitement incarné par Dennis Weaver, dont la caractérisation banale se retrouve jusque dans son nom : Man(n).


N’ayant pas encore son compositeur fétiche, John Williams, la partition expérimentale de Billy Goldenberg confère une identité unique à ce téléfilm permettant de suggérer la tension, les doutes et la peur faciles à ressentir, afin d’avoir de l’empathie pour son personnage principal, devant faire face à un danger de la route matérialisé par un camion d’allure inquiétante et vétuste.

Ce dernier véhicule constitue indéniablement le monstre mécanique implacable faisant tout pour détruire sa victime par le simple fait d’être là, sans raison particulière et, avec une certaine perversité. C’est par extension, la mise en image de la peur universelle que la machine remplace l’homme dans un avenir plus ou moins proche.


Duel est d’autant plus d’actualité qu’il nous renvoie au visage la représentation des incivilités croissantes et violentes que nous pouvons vivre en tant qu’automobiliste, à n’importe quelle moment de la journée. Cela est d’autant plus vrai que nous avons eu depuis peu un autre long-métrage s’inspirant de ce sujet, de manière moins subtile mais avec une efficacité indéniable : Enragé avec Russel Crowe méritant d’être vu.


Les scènes de poursuites sont très bien filmées permettant de rendre palpable la dangerosité et la vitesse du camion avec ses arrivées inattendues dans l’arrière plan ou en premier plan. Ainsi, la menace reste omniprésente même lorsque le camion n’est pas à l’image autant pour ce héros que pour le spectateur. Par ce procédé, le cinéaste maintient le suspense jusqu’à la fin, tout en ajoutant des rebondissements constants pour éviter que la tension ne redescende.


Le fait que la menace survienne en plein jour au lieu de la nuit est une belle inversion du cliché très présent dans le genre du thriller et de l’horreur. Le dernier réalisateur a utilisé régulièrement cette particularité est Ari Aster, notamment dans son Mindsommar.


L’astuce scénaristique de ne fournir aucune indication sur les motivations ou l’identité du conducteur apporte une dimension mystérieuse à l’œuvre laissant le spectateur, seul, face à ses propres interprétations ou doutes sur ce qu’il vient de voir au moment de l’arrivée du générique.


C’est clairement une œuvre auquel on repense facilement par la suite et dont les interprétations sont multiples, malgré une histoire très simple en apparence. C’est pour moi l’une des forces de l’écriture de Richard Matheson très bien mise en scène par le jeune cinéaste.


Ce téléfilm est, assurément, une référence en terme de scènes poursuites sur des routes entourées d’un désert où le danger n’est pas que dans le sable ou le soleil de plomb brûlant tout ce qui peut être vivant. Il a été diffusé la même année qu’un autre long métrage devenu également culte au fil des années : Vanishing Point. Ce dernier propose lui aussi des scènes de poursuite inédites et un road-movie sur les routes des Etats-Unis montrant la liberté que peut nous apporter la voiture, tout en décrivant la société américaine de l’époque, à travers toute une galerie de personnages.


Par la suite, les films proposant des road-movies à travers les Etats-Unis et des poursuites de voitures devinrent légion. Impossible de tous les citer mais le point de départ a certainement été initié par Easy Rider en 1969. Mais ici, ce fut la première fois où les véhicules avaient une présence plus importante que les personnages secondaires à peine effleurés psychologiquement dans la version originelle.


Devant ce succès surprise, une sortie cinéma fut envisagée avec des scènes supplémentaires dont celle du bus scolaire ralentissant un peu le rythme du film.

Cependant, elle met en lumière la roublardise du camion sur le choix de ses victimes qui n’était pas aussi évidente que cela dans la version télévisuelle.

Heureusement, l’ensemble reste cohérent et très immersif pour le spectateur. Cette version obtint, de manière logique, en 1973, le grand prix d’un nouveau festival de fantastique, d’horreur et de science-fiction : celui d’Avoriaz.


Ainsi, Steven Spielberg a créé une petite révolution en réussissant à obtenir son précieux sésame pour accéder aux studios de cinéma, en passant initialement par la case télévisuelle. En effet, c’était considéré comme une voie de garage pour tout réalisateur voulant percer à Hollywood à l’époque. Dire que des décennies plus tard, les réalisateurs reconnus considèrent la télévision comme un nouvel El Dorado pour faire de vraies propositions de cinéma.


Il est amusant de constater qu’au fil des années, le cinéma et la télévision ont toujours eu des rapports conflictuels et particuliers car l’un ne tue pas l’autre mais se nourrissent mutuellement pour le plus grand plaisir du public. Or Il s’agit là d’un tout autre duel bien évidemment !


Il me reste plus qu'à vous souhaitez bonne route et bonnes vacances à tous !! ^^

N.B : Critique publiée initialement le 14/08/23

Créée

le 15 août 2023

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Hawk

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