Ce film a été dès sa sortie encensé, et aujourd'hui encore, beaucoup de spécialistes le considèrent comme un chef d'oeuvre. J'ai un avis plus nuancé sur la question, non pas que je trouve le film mauvais, il possède un indéniable souffle lyrique, et le rôle féminin de Pearl Chavez incarné par Jennifer Jones est sans aucun doute l'un des plus fascinants qu'on ait vu dans un western quand on sait que le genre reléguait souvent la femme au rang secondaire, le western étant des histoires d'hommes. De plus, les effets du Technicolor des années 40 magnifient l'image et font échapper le film aux conventions du western de série, c'est un western en forme de superproduction, un western-tragédie où la plupart des personnages ont l'air de sortir d'une tragédie antique.
C'est justement cet aspect mélodramatique et grandiloquent auquel je n'adhère pas tout à fait, la transformation du western en tragédie, cette histoire d'amour fou étant trop excessive dans un western, ce côté un peu forcé des acteurs, l'aspect un peu biblique du scénario (les 2 frères opposés, l'un doux et honnête, l'autre une graine de desperado, tout comme Caïn et Abel) et l'aspect baroque de certaines scènes. Mais bon, ces réserves n'engagent que moi, ça reste quand même un très beau film qu'il ne me viendrait pas à l'esprit de mépriser.
Comme Autant en emporte le vent, Duel au soleil est plus un film de producteur qu'un film de réalisateur, il porte la marque de David O'Selznick (qui avait produit la saga sudiste) qui souhaitait faire de ce western qu'il tourna 7 ans après Autant en emporte le vent, la vaste fresque romanesque du Far West. Passionné par le sujet, il mit tout en oeuvre pour sa réussite, jusqu'à offrir le rôle principal à la femme qu'il aimait et qu'il devait épouser juste à la fin du tournage, on sent son esprit visionnaire et cette volonté de magnifier l'héroïne. Le film est devenu une sorte de poème d'amour enfiévré, un de ces films fulgurants que produisait Hollywood parfois.
Et justement ce désir de s'accaparer le film rendit le tournage orageux, le réalisateur King Vidor supportant mal les directives de Selznick, excédé et n'en pouvant plus, il finit par quitter le plateau, Selznick le remplaça par William Dieterle et d'autres réalisateurs sans les créditer au générique. Tous ces excès et ces heurts ont eu un effet sur le film, d'où le fait qu'il est si tragique. Mais comme je l'ai dit, je peux voir ce western, je l'apprécie notamment pour sa remarquable interprétation (Gregory Peck alors très jeune y trouvait aussi un rôle puissant, Joseph Cotten, Lionel Barrymore, Lilian Gish, Walter Huston, Charles Bickford... tous sont parfaits dans leurs rôles), et il est difficile d'oublier la scène finale où les 2 amants agonisants rampent pour finir dans les bras l'un de l'autre, couverts de sang au milieu d'un paysage lunaire. Ceci dit, c'est plus du mélodrame sur fond de western, et il ne fait pas partie de mes préférés.