L'infiniment grand contre l'infiniment petit.

Cas extrêmement ardus que de s’attaquer à l’une des œuvres de science-fiction les plus idolâtré de la littérature de SF du siècle dernier par le biais de sa ou ses versions cinémas. D’abord en raison du parcours chaotique que ce fut pour la première adaptation mais aussi en raison de la densité que représente l’épopée écrite par Frank Herbert sur 6 tomes. Accouchant avec des mots l’épopée guerrière et spirituelle de l’héritier de la famille Atréides, Paul, qui deviendra le messie d’un peuple longtemps opprimé sur la planète Arrakis, les Fremen, et mènera une rébellion contre la famille Harkonnen et l’Empereur actuel Shaddam IV responsables d’une machination sanglante.


L’œuvre final rendu par David Lynch a le mérite de comporter la patte de l’auteur et réussissait l’exploit de se distinguer de l’énorme hit intergalactique Star Wars à l’époque de sa sortie avec ses enjeux politiques et commerciaux, et surtout une direction artistique et musicale qui n’appartiennent qu’à lui. Mais à côté de cela, c’était un immense foutoir sans nom tant pour des problèmes de coupes et d’écriture qui se ressentaient, que de découpage particulièrement chaotique dans la deuxième moitié de film et ce sans parler du récit rushé à tel point qu’on ne s’engageait jamais émotionnellement aux côtés de Paul, des Fremens ou même les Harkonnen malgré le dégoût et la dégueulasserie esthétique qu’ils inspirent. Et comble de sa malchance, il a eu tendance à mal vieillir sur divers points (les boucliers), donc autant dire que le moment était propice pour remettre l’œuvre de Frank Herbert au goût du jour.


Fraichement sorti de son Blade Runner 2049 financièrement décevant sur le plan de la rentabilité, Denis Villeneuve va faire un premier choix valorisant en s’attardant davantage sur les origines des principales figures dramatiques du voyage initiatique de Paul, surtout dans son entourage. Que ça soit Léto Atréides, lucide, aimant et démocratique dans sa manière de faire, Paul montré comme studieux et volontaire mais dépassé par les étranges visions qui l’accaparent de plus en plus, ainsi que Jessica anciennement membre à part entière de l’ordre de sorcières et divinatrices qu’est le Bene Gesserit et matriarche aimante de Paul. Un portrait se dessine petit à petit y compris du côté des Harkonnen, bien que moins excentrique sur le plan esthétique que la version Lynch.


Autre choix qui lui permet de se distinguer et de donner une grandeur profonde à Dune, son choix de mise en scène par la courte focale, la profondeur de l’image et ce jeu d’échelle astronomique et de limite de l’image à partir du moment ou l’on met les pieds sur Arrakis aux côtés des Atréides et de leurs plus fidèles alliés. Une simple promenade de Paul dans le jardin de dattier nous fait prendre conscience de son insignifiance apparente face à l’architecture et la plantation qui écrasent l’Homme comme l’infime grain de sable qu’il représente une fois isolé. Ces plans d’ensembles, externes comme internes, donnent un véritable tournis et une fascination pour la matière métallique ambiante. Ainsi que pour celle du sable, de l’Epice plus précisément, mais le temps passé sur Caladan et son monde également large et plus riche en vie ne laisse pas indifférent.


On ne tardera pas je crois à évoquer en premier lieu la première attaque d’un ver géant (ou Shai-Hulud pour les adeptes des romans) sur un extracteur d’Epice qui est démonstrative d’une véritable richesse scénique mais également un indicateur de tension et une mise en garde contre Arrakis : tendue avec l’inéluctable insignifiance de l’homme face à ce monde, prophétique avec les révélations cryptique et soudaines de Paul en contact avec la célèbre matière première de la galaxie, menaçante à chaque fois que l’on voit le sable se soulever à chaque fois que le ver se rapproche tandis que ce dernier provoque un son de plus en plus proche (rendu sonore d’exception sur ce coup), et suggestive en ne montrant que sa grande gueule et son intérieur prête à hacher n’importe quelle matière.


Tout simplement imposant de gigantisme et de tension !


De ce fait il faut également saluer le rendu de l'équipe artistique tant Dune se démarque sur ce plan, avec sa production-design assez folle en termes d'architectures, de technologie métallurgique très marqué, de la représentation très hostile du désert d'Arrakis mais également des costumes et de tout ce qui constitue la forme sur le plan de la DA.


Dune 2021 se permet aussi de retranscrire plus profondément certains parallèles à notre monde, le peuple d’Arrakis étant ici l’équivalent d’un peuple arabe avec ses coutumes, son profond attachement aux croyances divines, au messie mais également le jihad déjà évoqué par l’image et dont la traduction guerrière erroné par rapport à son sens initial fait écho avec l’actualité de notre monde. Et ça c’est sans parler des coutumes guerrières des Fremens ainsi que de leur croyance inébranlable à l’arrivée de leur Messie : le port du Kris par les habitants de la planète de l’Epice,


une coutume tribale en fin de film


, le regard bleu surnaturel de chaque Fremen (si il n’y avait pas l’Epice, j’aurais tendance à dire que comme Cloud de Final Fantasy VII, ils ont trop côtoyé l’énergie Mako), ce peuple prend une identité plus forte, plus remarquée et dont l’indépendance et l’expérience en imposent par rapport à un Paul plus déboussolé que jamais et plus crédible dans son cheminement psychologique.


Paul qui n’est au final qu’un instrument dans lequel il ne peut trouver sa place à moins de se soumettre à ses visions, un Messie qui gagne en intérêt par ce qu’il va représenter petit à petit, mais non pas par son individualité. Timothée Chamelet rend par ailleurs très bien cet état d’esprit trouble, son jeu étant souvent très rigide ou évasif à juste titre. On sent que le terrain est préparé pour le voyage spirituel et métaphysique qui va lui être imposé, tout cela au milieu d’un contexte plus politique et économique qui garde l’ascendant sur ce premier volet.


Seulement Dune subit un retour de bâton très handicapant qui peut inquiéter fortement à l’idée d’un deuxième volet : son incapacité à se diversifier en termes de ton et surtout d’ambiance, et son uniformisation général. En dehors des visions de Paul ou le chef opérateur Greig Fraser tire profit de l’Epice pour donner une teinte surnaturelle paradoxalement frais par rapport aux scènes du présent, tout est si uniformisé par cette teinte visuelle grisâtre et desséché qu’on passerait dans un état clinique si il n’y avait pas la démesure technique de Villeneuve pour faire ressentir l’infiniment petit contre l’infiniment grand. A tel point que certaines scènes dans la pénombre souffrent de ses choix alors qu’avec une gestion plus minutieuse et moins monochrome, ça aurait laissé une tout autre impression


(la venue des sorcières du Bene Gesserit sur Caladan, tellement sombre qu’on croirait que les mangemorts se sont donné rendez-vous pour une party surprise).


Je suis de ceux qui sont toujours bienveillants avec Blade Runner 2049 en dépit de ce problème déjà présent car il y avait, selon moi, bien d’autres qualités qui en faisait une suite qui justifiait son existence. Mais je suis plus critique dans le cas de Dune, car pour une nouvelle tentative d’adaptation, son propos et ses enjeux ne provoquent pas l’impact désiré une fois de plus, on en a une très bonne connaissance mais ça ne traverse pas nos tripes. Au-delà de certaines fulgurances graphiques (les interventions des vers géants d’Arrakis ou le voyage dans le désert durant la deuxième moitié de film), on aimerait ressentir davantage les liens qui unissent Paul à ses mentors ou ses parents, ou même l’affection du père Atréide envers son fils.


A l’image de la rencontre avec le chef de la tribu Fremen ou la coutume locale de cracher devant son hôte déstabilise mais ou le guerrier joué par Jason Momoa (l’un des rares personnages à apporter un peu de variante dans un film aussi aride pour nous, spectateurs, que le désert d’Arrakis) invite son souverain et les autres à faire de même, c’est déstabilisant mais ça prête à sourire et ça casse un peu la monotonie ambiante en termes d’ambiance.


Mais le moment ou on ne peut plus faire la politique de l’autruche face à ce constat,


c’est lors du massacre des Atréides par l’armée des Harkonnen et les bataillons de l’Empereur.


Sur le plan technique Villeneuve sait parfaitement comment retranscrire visuellement un phénomène de grande ampleur quand il ne touche pas qu’un seul individu mais plusieurs nations d’hommes et de femmes. Les FX sont redoutablement soignés, les plans respirent lors des combats en intérieur, la destruction à grande échelle est frappante et ça nous fait prendre conscience de la tragédie shakespearienne qui prend forme.


Sauf que, passé cette démonstration technique… ben on n’éprouve pas pour autant de la tristesse pour Léto, ni vraiment de la compassion pour Paul ou Jessica. Sauf peut-être lors de la semi-crise de Paul face au jihad qui prend forme dans ses visions.


Même après la première moitié de film on reste dans une longue intro à ton monocorde et ça finit par se faire ressentir sur la durée.


Et ça n’est pas aidé par la bande-originale d’Hans Zimmer. Les morceaux sont très longs et souvent inégaux, traversés tantôt de résonnance musicale plaisante et appropriée, mais tantôt par la suite noyé par le vacarme habituelle et étouffante de ses dernières compositions. BO qui n’aide pas quand elle apporte une balourdise soudaine pour renforcer l’impact d’une action


(le son qui éclate soudainement quand Kynes se fait poignarder par un guerrier sardaukar, la subtilité a foutu le camp sur ce coup-là).


Sans pour autant la comparer à la très belle BO de Toto de 1984, j’aurais souhaité quelque chose de moins plombant et qui m’oblige moins à faire un tri sonore morceau par morceau. Alors qu’à côté l’identité sonore de Villeneuve par les bruitages et la gestion du son apporte toujours un gros plus à chacun de ses films, et ça ne change pas ici (les capacités de soumission de la Voix transmise par Jessica à son fils Paul).


Dune est mieux ordonné, mieux découpé, mieux dirigé et surtout plus lisible et accessible en termes de présentation et d’enjeux en plus de bénéficier d’un talent d’esthète indéniable pour la réalisation et d’un casting réussi. Mais comme son aîné de 1984, il ne réussit pas à nous impliquer émotionnellement (en tout cas il ne m’implique pas assez sur ce plan), ou alors très peu à cause des dialogues souvent trop formel et calculé (à quelques exceptions) et de personnages plus proches de fonction théâtral en dépit des tentatives de leurs donner un peu de souplesse. Une somptuosité graphique incroyable qui reste en tête certes, mais au service d’une narration trop millimétré et sujet à une très longue introduction, espérons que tout cela ait une chance de se dérider avec sa suite. Peut-être à un deuxième visionnage même pour prendre un peu plus de recul sur tout ce qui est préparé sur ces 2h30 certes riches, mais peut-être trop riche pour son propre bien.

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