L’excitation à l’accueil d’un blockbuster est désormais surtout celle des retrouvailles avec une franchise connue. Voir débarquer sur nos écrans une nouvelle proposition ambitieuse est devenu un luxe rare, teinté de l’inquiétude à savoir si les promesses d’innovation et d’immersion dans un nouvel univers seront tenues.


Pour Dune, le sujet est évidemment complexe : les lecteurs de SF connaissent la Bible d’Herbert, les plus anciens se sont frottés au navire malade de Lynch, et les cinéphiles ont vu le documentaire consacré à l’un des très grands films qui n’a jamais été tourné, par Jodorowsky cette fois. Les enjeux sont donc multiples : Denis Villeneuve, qui fait partie du carré d’or des réalisateurs parvenant à combiner blockbuster et politique des auteurs, est attendu par des armées hétéroclites : les tenanciers du roman, les cinéphiles exigeants, le grand public, et, d’une manière plus générale, toute l’industrie du cinéma désireuse de voir si l’on peut encore tabler sur le box-office en salle pour planifier un financement au long cours.


Comme pour Blade Runner 2049, qui relevait d’un défi à peu près identique, Villeneuve n’a pas froid aux yeux : il s’empare d’un matériau, en jauge la puissance, et lui insuffle ce qu’il considère comme le plus apte à le magnifier, sans céder à l’air du temps et au cahier des charges si étroit du blockbuster. Dune est, de ce point de vue, une réussite éclatante : une ample saga qui écarquille les pupilles d’un spectateur émerveillé par la découverte d’un monde qui fait sens à chaque plan. L’irréprochable direction artistique ne ménage pas ses efforts pour donner vie à une saga cosmique où s’affrontent différentes maisons, chacune floquée de ses costumes, coutumes et folklore, soulignés par une musique grandiose et inspirée. La question qui obsède d’emblée l’équipe est celle du grain : de sable, certes, mais aussi, d’une manière générale, de la densité et la matière qui composeront son univers. De la chaleur d’Arakis aux boiseries dorées des Atréides, en passant par les matières organiques et huileuses du Baron (le sound design associé à ce personnage est proprement incroyable), le large spectre des matières densifie l’image, et convoque une imagerie à l’ancienne (du péplum, ou de Lawrence d’Arabie), par une photo grise et mordorée, jamais brillante, pour échapper à tout ce qui aseptise la science-fiction de ces dernières années. La dimension technologique est ainsi on ne peut plus modeste, et tout le vocabulaire SF traditionnel (lumières vives, métal, blancheur éclatante) délaissé au profit d’un contexte tellurique et presque artisanal où les lames prévalent.


Villeneuve a surtout compris que l’émerveillement ne passera ni par la vitesse, ni par la débauche d’effets dans des scènes d’action ahurissantes. Son recours aux plans d’ensemble, dans des décors superbement ouvragés, où la CGI discrète se patine sous l’effet du sable ou de la rouille, fait de la beauté un objectif premier, chaque séquence s’enrichissant d’une solennité opératique. Les séquences épiques sauront toujours garder cette ampleur, que ce soit dans certaines visions quasi abstraites (ces vaisseaux cylindriques en orbite par exemple) ou dans les vastes tableaux de batailles où le déséquilibre des forces est fabuleusement mis en scène.
Car c’est aussi là le signe distinctif d’une œuvre qui se présente comme un long requiem. Si quelques éléments renouent avec la tradition SF, comme les déplacements dans les jolis ornithoptères ou la présentation en plusieurs étapes de la star Shai-Hulud, ver des sables apparaissant progressivement par tous les artifices du son, de la vibration et du déplacement du sable, la tonalité générale est moins celle d’un récit d’aventure que d’une tragédie suffocante. L’interprétation tout à fait pertinente des comédiens atteste de cette passion rentrée face à des enjeux qui dépassent les individus, entre un Paul aux frêles épaules, une mère louve aux intentions immenses, et un père qui fait état de la fin d’une ère.


C’est là un paradoxe fécond, qui aura des conséquences sur la narration : ce premier volet ne cesse d’introduire tout en prenant acte de la fin d’un règne, en faisant de la destruction et du massacre généralisé le préambule indispensable à une renaissance. La confrontation à la peur, au deuil, et aux prophéties place ainsi Paul au carrefour des temporalités : spectateur passif d’une grandeur passée qui s’embrase, subissant les rêves d’un futur dont on ne sait s’il adviendra, résultat d’une sélection génétique par son ascendance maternelle qui lui réserve un destin qu’il comprend mal, c’est un personnage à la croisée des chemins, n’appartenant qu’aux enjeux politiques des autres, et sans espace qui lui soit encore propre. C’est évidemment un trait distinctif, et qui nourrira cette ouverture d’une aura funèbre, la loyauté d’une caste se fracassant face à l’alliance de forces noires, transformant toutes les séquences épiques en baroud d’honneur avant l’extermination. Le récit initiatique implique la douleur (comme le montre la séquence de test imposée à la main de Paul), la destruction et l’acceptation d’enjeux qui dépasseront le cocon familial, qui doit nécessairement imploser.


Mais cette dislocation des repères infuse aussi une langueur parfois déstabilisante dans le rythme. Comme si le ralenti et les volutes de sables s’infiltraient dans la structure générale, empêchant certains personnages secondaires de pleinement exister, et, tout simplement, au présent d’imposer sa marche. Ce déséquilibre, qui reprend en un sens la marche du sable fondée sur l’arythmie pour échapper au repérage des vers des sables, dessine une chorégraphie singulière, qui pourra s’avérer préjudiciable dans la réception générale. Il n’en reste pas moins fascinant, et atteste une fois encore de la marque forte qu’imprime un cinéaste respectueux de la mythologie dont il s’empare, et bien décidé à la faire exister par elle-même, et non en fonction de l’époque à laquelle on la présente. De quoi fonder d’immenses espoirs sur la suite : de cette saga, si le public s’invite vraiment à la danse, ou, d’une façon plus générale, de la carrière d’un réalisateur qui semble avoir encore beaucoup à projeter sur les toiles des salles obscures.


(7.5/10)

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le 15 sept. 2021

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Sergent_Pepper

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