Lorsque film culte ne rime ni avec bon film, ni avec bonne adaptation

L’annonce du prochain voyage dans «Dune», nouvelle adaptation qui se paie Denis Villeneuve à la réalisation, a de quoi mettre des étoiles dans les yeux et de l’espoir dans nos cœurs, car l’épique et sublime ouvrage de Franck Herbert n’a jamais eu d’adaptation à sa hauteur, que ce soit les séries TV assez dégoûtantes au début des années 2000 ou encore ce film que je vais diffamer au grand agacement des fans les plus acharnés d’entre vous.


Donc Dune, de David Lynch, est le genre de film fort d’une production difficile, d’une histoire chaotique qui pourrait, à l’instar d’un Heaven’s Gate ou Sorcerer, contribuer à développer une légende autour de l’oeuvre, à condition que la qualité de l’oeuvre en question soit du niveau du mythe le précédent comme les deux films ci-dessus.
Et Dune, avant que ça sorte, tout indiquait que ce serait le Space Opera ultime, le roi de son genre, que ce soit dans le choix du réalisateur (Lynch quoi...) , la mégalomanie et l’ambition de son producteur (Dino de Laurentiis, qui, s’il a produit quelques merdouilles quand même, reste le producteur mythique d’œuvres à contre courant telles Conan le Barbare de John Milius, Barbarella ou le mythique, neuneu et casse tronche La Bible - au niveau prise de risques, il y a du niveau) ou le support littéraire bordel ! Comment ne pas offrir quelque chose d’exceptionnel à partir d’une base exceptionnelle.
A côté de ça, le film se paie Toto à la B.O., ce qui n’est pas rien, et est fort d’un budget de 45 millions de dollars, ce qui a beau être ridicule actuellement, mais qui signifiait une sacrée prise de risques en 1984 (le deuxième film le plus cher de l’année derrière Cotton Club d’ailleurs).


Mais le fait est, que malgré toutes ces cartes en main pour devenir un prophète cinématographique de SF, Dune se contente du minimum, visuellement comme émotionnellement, et va être un four à sa sortie, et mériter ce four...
La faute à...tout en fait, car tout ne marche pas dans ce film...


...Déjà en tant qu'adaptation.
Tout d’abord, un casting assez inégal, que ce soit le jeune Paul, pourtant interprété par Kyle MacLachlan (très bon dans Twin Peaks et Blue Velvet) qui réussi l’exploit d’être trop vieux pour le rôle et en même temps pas assez mature et charismatique pour interpréter un gamin de 15 ans, ou le reste de la distribution qui fait peine à voir.
Les Harkonnen, pour ceux ayant lu le livre, sont les genres de bad-guy à ne pas louper, des méchants assez ambitieux dans leur écriture, méritant un traitement filmique approprié, mais les rendre roux et crades n’ont pas suffit à insuffler une quelconque originalité à ces antagonistes qui auraient pu, au vu de la richesse qu’offrait ces personnages sur format littéraire, se hisser au même rang qu’un Terminator ou Dark Vador (si si, je suis sérieux) sur format cinématographique.
Les autres protagonistes ne sont pas traités avec plus de finesse ni d'authenticité. Que ce soient les fremens, la famille Atréides, rien ne se dégage de ses personnages et suscite une émotion chez le spectateur, qui avaient en majorité une certaine froideur dans les bouquins certes, mais cette froideur n'était pas déplaisante et cohérente à la logique du matériau de base. Ici cette froideur est transformée en jeux inexpressifs et fades à souhait.
Chaque personnage est démystifié, ce qui faisait leur force dans l'ouvrage d'Herbert étant minimisé, pour ne pas dire jeté aux oubliettes, pourquoi ? Simplifier l'oeuvre ? Oui peut être, mais en vain.
Les voix-off tout au long du film ne rendent pas justice au type de narration, là où le livre apportait une dimension supplémentaire aux personnages et leurs caractères respectifs avec ces monologues intérieurs en italique, l’adaptation tombe dans l’absurde en incluant sur format cinématographique les mêmes propriétés que celles du livre, rendant ses personnages encore plus loufoques avec ces voix-off dispersées de part et d’autres au sein du film sans cohérence, un peu comme une parodie d'un Malick avant l'heure.
L'oeuvre essaie d'être fidèle au roman, peut être est-ce le problème, les codes littéraires n'étant pas les mêmes que les codes cinématographique (essayer de reprendre scène pour scène, action pour action, chaque détail du Seigneur des Anneaux sur grand écran, c'est impossible, pour ne pas dire possible mais inutilement débile afin de pondre un film expérimental de 20 heures sûrement horrible et irregardable), peut être aurait il mieux valu prendre une autre direction, s'éloignant du livre sur son style de narration, de sa temporalité, sans pour autant négliger la richesse de l'univers décrit et la profondeur des personnages, malheureusement, le film fait tout le contraire.
En voyant ce film comme une adaptation, il s’agit donc d’une véritable déception, que le lecteur de Dune estimera trop débile et trop simpliste, regrettant de voir une transposition non aboutie d'une oeuvre qui méritait mieux.


Mais en tant que film, que vaut-il ?
Remanié plus d’une fois sur son montage, le film possède une version cinéma, signée David Lynch, et une version télévisée signée des producteurs. La version de Lynch, trop courte et trop expéditive, ne rattrape pas la version des producteurs (que le cinéaste a d’ailleurs rejetée et qui est créditée sous le doux pseudonyme d'Alan Smithee) qui, bénéficiant d’un plus long étalement de la temporalité pour satisfaire le spectateur novice, se fait carrément dessus et se veut pire que la version cinéma ! La faute au montage sonore brouillon et mal fichu qui donne l’impression d’un travail bâclé, fait par un stagiaire de cinéma.
Et le bonhomme Lynch parlons en. Où est sa patte dans Dune ? Sérieusement si le mec n'a pas encore donné ses lettres de noblesse au style lynchien telles Lost Highway, Blue Velvet ou Mulholland Drive, eh bien il a déjà donné un avant-goût de son univers surréaliste et halluciné dans ses deux premiers films, chose qu'on ne retrouve pas dans m'adaptation du space-opera. Non sans déconner, même si ce film est un peu plus qu'un blockbuster au style aseptisé et a un certain charme pour le spectateur sensible à ce genre de production, peut-on le qualifier de lynchien ? Non, on est face au film le moins personnel du cinéaste.
Le scénario, simplifié pour être plus accessible aux spectateurs n’ayant pas lu le livre et ne voulant pas forcément réfléchir devant de la SF hardcore, reste tout de même trop complexe pour plaire au plus large public. Pas très facile d’accès, un peu comme un album de Magma ou Gentle Giant, ce film se perd tout de même dans son univers et perd par conséquent ce grand public, qui cherchait plus un tour de grand huit à la Guerre des Etoiles, plus spectaculaire et moins psychologique.
Ce qui reste le plus déroutant au sein du long-métrage, c’est la piètre qualité de ses effets visuels. Comme dit plus haut, le film pèse 45 millions de dollars, ce qui n’est pas rien. Pour donner un comparatif, le premier Star Wars avait un budget de 11 millions de dollars, et L’Empire Contre Attaque en coûtait 18; pour information facultative, 2001, L’Odyssée de l’Espace était sorti en 1968. Quel est le rapport me direz vous ? Eh bien le film arrive, en coûtant plus cher que les deux premiers volets réunis de la saga poids lourd de Georges Lucas qui était une référence en matière d’innovation technologique, a avoir des effets spéciaux plus que moyens, pour ne pas dire vraiment médiocres pour l’époque, car ils ne sont pas meilleurs que le classique de Kubrick pourtant sorti 16 ans avant. Où est donc passé le budget du film ? Comment, avec des moyens si conséquents, peut on régresser technologiquement à ce point !? On peut pardonner à une série B ses effets visuels daubés justement parce que c’est une série B, mais là, avec Dune et ses 45 millions de dollars, on est sur de la production respectable, comment ne pas proposer le spectacle visuel attendu ? Même en 1984 !?
Les effets visuels ne sont pas les seuls à blâmer au sein du film pour tout ce qui touche à l'attrait visuel, les décors et les costumes n'étant pas mieux réussis. Le film ayant adopté pour un style pauvre, un peu à la limite du "Dieselpunk", alors que cette intrigue se déroulant dans un univers colonisé à des années lumières de notre époque actuelle sous fond de magouilles entre riches maisons sous un système féodal futuriste aurait mérité un visuel plus..."tape à l'oeil", plus coloré, rétro par exemple, mais avec un juste milieu, afin de ne pas être volontairement kitsch.


Dune restera à jamais un film culte, imprimé dans l’esprit d'une fan-base secrète et fidèle qui y voient une perle rare dans le cinéma, un OVNI pour lequel il est facile de ressentir un quelconque attachement pour sa singularité justement, même s’il est mauvais, un peu comme un plaisir coupable. Mais ça reste un film un peu «bâtard», trop simpliste pour le connaisseur de l’univers imaginé par Herbert, trop complexe pour le spectateur lambda, trop bizarre pour le grand public, pas assez bizarre pour Lynch...

Un film dépassé par la trop grande richesse du matériau de base qui n’a pas trouvé de public, trop déstabilisé par cette œuvre maladroitement le cul entre deux chaises, à cheval entre deux mondes. Un film "mort-né", abandonné par ses créateurs (malgré ma déception je peux comprendre l'attachement qu'ont certains pour cette oeuvre), qui est ancré dans le cinéma de science fiction comme une version appauvrie des must du genre des mythiques 80's, comme les Star Wars qui ont façonné le space opera actuel ou Blade Runner; et peut être un film qui évolue aussi malheureusement dans l’ombre d’une autre adaptation, qui n’a pourtant jamais vu le jour, celle d’Alejandro Jodorowski, un Dune à jamais mythique car n’ayant jamais existé, car trop fou, trop dantesque, trop ambitieux, mais ce film culte jamais réalisé est une autre histoire, une histoire contée dans Jodorowski Dune.
Dune, de David Lynch, malgré cette originalité, cette unicité dont il est revêtu, reste pour moi une forte déception, celle de l’aventure que l’on rêve de voir sur grand écran, celle qui, fort de l’univers impressionnant et l’imagination fertile derrière le projet, s’est contentée d’être banale, alors qu’elle aurait pu être grandiose.

Tom-Bombadil
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le 29 avr. 2018

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Tom Bombadil

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