Dune occupe une telle place dans mon imaginaire que je suis ému d'avoir trouvé dans l'adaptation de Villeneuve une matérialisation de cet univers qui devient soudainement presque tangible. S'il y a une part de grand spectacle, on n'est pourtant jamais vraiment dans le grandiose, mais dans une forme de réalisme qui fait véritablement exister le monde imaginé par Frank Herbert. Les personnages eux-mêmes sont sobres, fragiles, et on commence à deviner leur complexité. Certains sont encore sous exploités, mais le second volet devrait vraisemblablement permettre à la richesse des personnages et des relations qui existent entre eux d'être véritablement développées. Cette première partie de Dune est à mon sens une véritable réussite, mais à prendre pour ce qu'elle est : une première partie qui pose les bases d'une histoire complexe. Ce serait un non sens absolu de ne pas lancer la production du deuxième volet sans lequel ce film n'aurait que peu d'intérêt.


Je dois dire que j'ai eu peur, plus d'une fois, devant des scènes qui me semblaient à priori abordées de manière très maladroite, mais Villeneuve m'a surpris en réussissant à chaque fois à s'en sortir sans tomber dans la facilité et y instillant suffisamment de subtilité pour rester fidèle au livre. En parvenant à mener la narration et la mise en scène sur le fil du rasoir (ou la crête d'une dune) sans y faire de faux pas, Denis Villeneuve prend des risques qui s'avèrent payants, car il réussit l'un des défis les plus difficiles de cette adaptation : donner les clefs de l'univers de Dune pour le rendre accessibles aux nouveaux venus, sans (trop) simplifier les ramifications complexes des enjeux géopolitiques et psychologiques du roman.


Si je me mets un instant à la place d'une personne découvrant Dune à travers ce film, j'ai le sentiment que tout y est pour comprendre les enjeux principaux de l'histoire, mais qu'un deuxième visionnage ne serait pas de trop pour en saisir les subtilités. Toute la beauté de cette adaptation, c'est que tout y est, ou presque. La Missionaria protectiva, les différentes facettes du Bene Gesserit, l'équilibre fragile du Landsraad et des quarte maisons majeures... Autant de thème sans doute jugés trop complexes qui avaient été en grande partie expurgés de l'adaptation du Lynch, et s'il est probablement difficile d'en saisir tous les enjeux pour un spectateur qui ne s'est jamais plongé dans les livres, les évoquer permet à tous d'entrevoir la profondeur de l'univers dans lequel évoluent les personnages.


La narration suit de manière plutôt fidèle l’œuvre originelle, et les rares ajouts ou transformations opérées par Villeneuve trouvent leur place dans l'univers de Dune de manière très naturelle, la conversation entre Paul et son père sur Caladan. Bien que le film fasse déjà 2h30 et qu'il ne s'attarde que sur la première moitié du livre il reste impossible de tout développer et des choix ont dû être faits. Je regrette le manque de présence des Harkonens, en particulier de Peter de Vries qui est quasiment absent de cette adaptation alors qu'il joue un rôle capital. Le Baron est magnifiquement interprété mais le manque de développement de cet arc narratif tend à en faire un simple méchant dont on perçoit la noirceur mais bien peu l'intelligence et l'esprit calculateur. Thufir Hawat est également sous exploité, Villeneuve a fait le choix de recentrer le récit sur la trajectoire de Paul, et si cela laisse quelques frustrations concernant d'autres pans de l'histoire tout aussi passionnants, ne pas faire de choix clair aurait probablement conduit à un film illisible de part la multiplicité des personnages et des intrigues auxquelles porter attention.


Le casting est un quasi sans faute, Josh Brolin étant le seul à ne pas être parvenu à me convaincre de son interprétation de Gurney Halleck. J'ai lu que certains reprochaient à ce film une incarnation un peu terne de ses personnages dû à un jeu d'acteur peu expressif à quelques exceptions près. C'est pourtant, à mon sens, une des raisons de la réussite de cette adaptation. Les personnages de Dune sont dans la retenue, dans la maîtrise d'eux mêmes, et quelque part cette frustration que l'on peut ressentir face à des personnages qui donnent rarement à voir leurs émotions sur leurs visages, c'est aussi une frustration que l'on pourrait ressentir à la lecture du livre, car c'est bien comme ça que les personnages sont dépeints et interagissent entre eux. Timothée Chalamet est absolument parfait dans le rôle de Paul, il paraît l'âge de son rôle, semble fragile et ne pas avoir les épaules pour le rôle qu'il devra endosser, il a tout ce qui manquait à Kyle McLachlan dans la version de Lynch (très grand acteur que j'adore par ailleurs, mais qui n'a jamais pu incarner Paul à mes yeux).


Et puis il y a tout l'aspect technique... Visuellement c'est un film d'une indéniable beauté. Toutes les scènes sur Caladan sont absolument sublimes, en particulier la scène où la délégation impériale vient remettre la gérance de Dune aux Atréides (je ne peux m'empêcher de voir dans la forme sphérique du vaisseau qui vient se poser une référence aux non-vaisseaux qui font leur apparition dans les 5ème et 6ème tomes de la saga qui ont justement une forme sphérique argentée). Les ornithoptères sont enfin de vrais ornithoptères battant des ailes (idée de génie que d'avoir donné à ces ailes la possibilité de se replier totalement pour plonger en chute libre), les vers sont incroyables... Même l'architecture d'Arrakeen que j'ai trouvé un peu austère au début me semble parfaitement adaptée à cet univers, et je pouvais déjà imaginer la ville pleine de vie telle qu'on la retrouve dans les romans suivants. Si les effets spéciaux semblent si réalistes, c'est aussi sans doute parce que l'image dans son ensemble est traitée de manière presque naturaliste. Avant de voir le film je n'étais pas convaincu par ce choix de mettre en image Dune avec des couleurs plutôt ternes, mais je me rends compte à présent à quel point cette approche rend cet univers proche de nous, à quel point il devient tangible.


Et que dire du sound design qui se met au service du récit ? Plus marquant que la musique, la sound design de Dune est d'une maîtrise que je n'avais encore jamais vue dans un film. Je suis en particulier très impressionné par la transposition à l'écran de la Voix.


J'aurais envie de disserter pendant des heures sur cette adaptation, elle n'est exempte de défauts, mais les quelques points négatifs qu'on pourrait relever sont bien moins importants que ses qualités évidentes. Cela faisait bien longtemps que je n'étais pas sorti du cinéma en me disant que je voulais absolument revoir le film que j'avais vu, et vite. Je sais que je retournerai au cinéma pour voir Dune à nouveau et que je le regarderai encore de nombreuses fois chez moi.


La note que je donne à ce film n'est peut-être pas totalement justifiée, car prit seul ce film n'est pas terminé, la fin s'arrête à un moment du récit où il semble naturel de couper pour ceux qui connaissent la suite, mais qui laissera nécessairement les autres sur leur fin. Il faut rappeler que contrairement à des trilogies comme le seigneur des anneaux qui adaptaient en trois films trois tomes distincts, Dune étale sur deux films le récit d'un seul livre (coupé arbitrairement par certains éditeurs en deux volumes, mais initialement publié en un seul livre), si l'on veut rester aussi fidèle à l’œuvre originelle que Denis Villeneuve a prit le parti de l'être, il n'existe pas de conclusion naturelle à donner à ce premier volet et je comprends les raisons pour lesquelles il a décidé d'arrêter l'histoire à ce moment là. Mais l’œuvre ne pourra être jugée qu'une fois mise en perspective avec sa suite, que j'appelle de mes vœux. Les livres de Frank Herbert s'installent souvent lentement avant de prendre tout leur sens dans les derniers chapitres, c'est en partie le cas de Dune, et le premier volet de cette adaptation n'est donc nécessairement qu'une forme d'introduction qui met en place le décor pour la suite de l'histoire, et si cette suite est à la hauteur des promesses portées par ce premier volet, alors, peut-être, sera-t-il possible de parler de chef d’œuvre. Je ne peux qu'espérer que le public continuera d'être au rendez-vous et que les studios seront convaincus qu'une suite est souhaitable (et, si me mets à rêver, plusieurs suites qui pourraient couvrir l'ensemble de la saga écrite par Frank Herbert qui comporte des tomes à mon sens plus intéressants encore que ce premier livre).

tokidoki
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le 22 sept. 2021

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