Parmi les nombreuses visions qui assaillent Paul, il en est une qui, par le biais d’un sage aux yeux bleus, nous invite à considérer l’existence humaine non comme une énigme à déchiffrer mais comme une expérience à vivre. Avec le ton emphatique qui la caractérise, ainsi que son intervention à un moment charnière, nous comprenons qu’il s’agit là d’une clef de lecture, voire de l’ébauche d’une poétique définie par Denis Villeneuve, une leçon de visionnage de la même manière qu’une réplique, dans Tenet (Christopher Nolan, 2020), invitait son spectateur à se laisser porter sans chercher à comprendre ce qu’il avait sous les yeux.
Or, la seule expérience que le film propose relève de la pyrotechnie, soit un son et lumière impressionnant qui sature la rétine jusqu’à la cécité ; car jamais – ou bien trop rarement – le spectacle mute en exploration sensorielle de l’univers représenté, la faute à une grandiloquence de chaque plan voulu iconique et écrasé par la partition pompière du grand Hans Zimmer, qui reprend et prolonge pour l’occasion l’un des micro-thèmes composés pour le second volet des aventures de Sherlock Holmes (Sherlock Holmes: A Game of Shadows, Guy Ritchie, 2010). Le cinéaste semble à ce point obsédé par l’installation d’une mythologie et par un souci de pédagogie qu’il évacue les zones d’ombre, cantonnées pour l’essentiel à des prolepses que l’on voit vite se concrétiser.
Aussi Dune version 2021 se situe-t-il à l’extrême opposé de la vision de David Lynch – nous entendons d’ailleurs une reprise furtive de son thème musical en fin de parcours –, vision dénaturée par le charcutage des studios : un mastodonte hyper-impressionnant, un accélérateur de particules visuelles et sonores qui reproduit les effets de l’armure qu’utilisent les personnages pour se défendre en les enfermant dans une coque protectrice. Dit autrement, la puissance véritable du long métrage tient moins au foisonnement labyrinthique de l’intrigue, simplifiée à outrance, qu’à une prise d’otage de l’œil et des oreilles du spectateur, incapable de ressentir en lui la force suscitée par le fait d’assister à la naissance d’un messie, incapable d’apprécier le sable et l’épice balayer le visage livide de Timothée Chalamet.
« La porte est verrouillée », dixit Liet Kynes, tout est expliqué, donné en pâture à un intellect guère mobilisé. Nous aurions aimé nous perdre et ainsi partager l’errance intérieure de Paul, redouter le ver, ici dévoilé dans et pour son gigantisme seul. Un spectacle dévitalisé et fort oubliable, à des années-lumière du chef-d’œuvre de Frank Herbert.