Si le Dune de Lynch peut être considéré comme raté à cause d'une originalité insaisissable, le Dune de Villeneuve est mauvais par une absence cruelle d'identité.
Dans cette critique, je vais présenter point par point tout ce qui ne va pas dans ce film à mes yeux, non seulement en tant qu'adaptation de roman, mais aussi en tant que film d'action pour un budget de cette ampleur.
La lumière dans le désert - Un aspect que je redoutais déjà dans ses bandes annonces : ce film est aseptisé, et plus encore, il est vide. Les décors n'ont pour moi aucune variété, ils sont enfermés dans des tons qui peinent à se renouveler et les costumes sont pauvres en originalité. Dune est pâle, ne transmet aucune chaleur, seulement un vend froid caractéristique de son récit. Le roman décrit pourtant un désert d'une chaleur accablante à laquelle même un Fremen endurci ne pourrait survivre plus de quelques heures. Il y a par ailleurs quelques références pointues au livre que j'aborderai. Visuellement le film est le vide personnifié. Quant à la musique, sa discrétion serait presque inexistante sans quelques percussions et chants disséminés.
Une terminologie enfouie dans le sable - Le film est pensé pour être une introduction à une potentielle suite à la fois pour les connaisseurs de Dune et les néophytes, mais il ne peut conquérir aucun public selon moi, et ce pour une raison très simple : la vulgarisation voire l'absence pure et simple d'éléments d'exposition essentiels dans la 1ère partie du récit. Dans le livre, nous apprenons très tôt que l'ordre Bene Gesserit contrôle l'univers dans l'ombre et a le pouvoir de manipuler la reproduction au niveau biologique d'une lignée depuis des millénaires afin de créer le fameux Kwisatz Haderach, décrit comme un mâle qui a le pouvoir de voir là où elle ne le peuvent pas, un mâle malléable susceptible d'apporter un avenir à leur avantage. Dans le film de Villeneuve, il est fait mention d'un "élu qui apporterait un avenir meilleur". Ce n'est absolument pas le rôle de Paul, qui n'apporte que massacres et malheurs dans les romans. Il y a une omission gênante de la différence des pouvoirs sur le plan sexuel : seul Paul, un homme, peut voir un certain chemin que le Bene Gesserit, exclusivement des femmes, ne peuvent et n'osent pas voir. Il n'y a aucune mention claire et précise du rôle de Jessica : pas une fois il est dit dans le film la raison exacte pour laquelle elle avait pour ordre de porter une fille, qui à son tour aurait donné un fils, LE Kwisatz Haderach prévu par les Bene Gesserit, plan qui a donc dévié. Jessica a en effet choisi de mettre au monde un fils par amour pour Leto, qui voulait un garçon. Rien de tout ça n'est dit dans le film. Peut-être est-ce réservé pour une suite. Je trouve malgré tout que le manque cruel d'information autour des différents groupes présentés dans le film n'aident pas à leur identification et encore moins à leur compréhension. J'ai également été déçue de l'explication très brève du rôle de l'épice, pour centrale dans l'oeuvre.
Une réécriture plus qu'une adaptation - C'est sûrement ma plus grande et agréable surprise lors de mon visionnage. Ce Dune est parsemé de scène inédites, certaines des événements uniquement évoqués dans le livre, d'autres totalement nouvelles. Une initiative que je trouve intéressante, chaque adaptation pouvant apporter des ajouts parfois appréciables et uniques. Malheureusement, ce Dune échoue à la plupart de ces tentatives. Le premier dialogue du film se déroule lors d'un déjeuner entre Paul et sa mère. Paul lui demande de l'eau, Jessica lui rétorque d'essayer par la Voix. Un ajout idiot à mon sens, puisque nous savons dans le livre et dans le film de Lynch que Paul s'essaie à la Voix lorsqu'ils sont enlevés par les Harkonnen dans le désert, où il soumet ses ennemis au bout de plusieurs essais. Ce qui est doublement incompréhensible pour moi dans cette scène du déjeuner, c'est le traitement de Paul traité littéralement comme un imbécile de première en fixant l'eau tout en essayant de faire usage de son pouvoir.
Une autre scène aussi incompréhensible qu'inutile est l'utilisation abusive du taureau. Les lecteurs savent qu'il est fait mention d'une tête de taureau parmi les effets personnels de la famille Atréides, évoquant le père de Leto. Une mention au début du roman sans conséquence à priori. Dans ce film, il est utilisé comme un symbole visuel récurrent lié au destin de Leto. Paul lui-même en parle comme un souvenir de famille. Cette anecdote est pour moi aussi inutile qu'elle n'est en plus une ficelle scénaristique tout sauf subtile, jusqu'à l'utilisation de plans entièrement dédiés.
Dernier exemple, la scène de l'arrivée de l'ambassadeur de venu annoncer la transmission de pouvoir de Dune des Harkonnen aux Atréides. Cet événement a déjà eu lieu au début du roman et est pour moi inutile à l'intrigue même en tant qu'exposition. Celle-ci des autres scènes qui ne sont pour moi absolument pas nécessaire à l'intrigue, si ce n'est pour augmenter la durée du film.
Les personnages tamisés - Voici le point sur lequel j'ai été particulièrement contrariée, du moins, les points : les personnages et le traitement des acteurs qui les incarnent. Tout d'abord, ma critique n'a pas pour but de rabaisser ou de diminuer le travail des acteurs, c'est avec respect que j'exprime mon désaccord sur le traitement des personnages du film.
Dès les premiers teaser, je sentais que l'acteur de Paul n'était pas adapté. Ce n'est pas tant l'aspect "frêle" que dégage le personnage, c'est surtout le fait qu'il ne joue pas Paul, mais un adolescent en pleine crise, et cela m'amène à aborder un autre point : tout ce film transpire Star Wars, dans ses dialogues parsemés d'humour jusqu'au concept du héros jeune et naïf élu d'une grande destinée bienfaitrice et qui se révolte contre l'autorité parentale afin de partir en aventure sur une autre planète en croyant tout connaître de l'univers. Dans les romans, Paul est décrit comme un jeune garçon très mâture pour son âge, distingué, calme et suffisamment digne sans jamais dépasser les limites de l'arrogance mal placée. Ceux qui ont vu le Dune de Lynch reconnaîtront ce Paul. Je ne le vois pas dans ce Dune, et je trouve cela regrettable.
Le changement de sexe et de couleur du personnages Kynes n'apporte rien aux enjeux de l'histoire. Sa mort a également été alternée dans le film. Elle meurt blessée par un Sardaukar et appelle le ver afin d'engloutir ses ennemis en mourant avec eux avant de dire que "son seul maître est le Shai-Hulud." Une réplique bien ironique lorsque l'on sait que les aspirations écologiques de Kynes sont une menace pour la planète...
S'il y a un seul personnage dont je garde une bonne impression est Jessica, notamment pour une scène : l'épreuve de la boîte. Légèrement différente de celle que l'on connaît, et qui apporte un traitement intéressant. L'épreuve à laquelle Paul est confrontée est entrecoupée de plans de Jessica derrière la porte où se trouve son fils. Elle est tremblante de peur et de souffrance comme si elle subissait l'épreuve de son fils au même instant, tout en récitant la litanie contre la peur. Une proposition que j'ai trouvé bien amenée et fidèle au personnage de Jessica.
Un autre personnage qui n'a pas eu cette chance est le baron Harkonnen. Non seulement sa présence est discrète dans le film, mais aucun dégoût ni répulsion n'est transmise à la vue du personnage. Celui-ci se contente de passer sa main sur son crâne dégarni et d'exposer son plan contre les Atréides. Aucun sous entendu sur ses penchants sexuels malsains, seulement un lien de parenté brièvement mentionné. Un gâchis total pour l'entrée d'un personnage pourtant fascinant dans les romans.
Conclusion - J'aimerais dire que ce film, ou cette première partie, est une bonne porte d'entrée pour ceux étrangers à l'univers de Dune, mais il n'en est rien. Le film est bien trop fade à mon sens pour que l'on puisse profiter de toute la richesse et complexité de l'univers d'Herbert. En revanche, je pense sincèrement qu'il a le potentiel d'attirer les spectateurs vers le support original : les romans. Le film est d'une neutralité déconcertante à mes yeux, (je le comparerais à un Star Wars 7, même si le contexte est différent : le film proposait une base aux suites infinies, sans jamais rien en faire de concret et peine à se forger une identité propre). En effet, le film est pour moi une base certes neutre et plate, mais une base tout de même qui pourrait inciter les spectateurs à se lancer dans les livres et qui, à l'issue de leur lecture, découvriraient et comprendraient l'oeuvre dans toute son authenticité.
Dune est pour moi un grand livre, et c'est le Dune de Lynch qui restera ma référence cinématographique de l'oeuvre de par son ambiance et son style unique, propre à son époque et à son réalisateur. Je recommande également les mini séries Frank Herbert's Dune (2000) et Children of Dune (2003) qui n'ont à mon sens pas à rougir malgré le manque de moyens grâce à une proposition ambitieuse. Je ne rabaisserai pas le travail réalisé sur le Dune de 2021, son réalisateur semble honnête dans ses intentions, mais ce Dune n'est pas le Dune que j'imagine.