Voir le film

Indiscutable médaille d'argent derrière "Nolan le triomphant", Denis Villeneuve fait incontestablement partie du trio de tête des réalisateurs Hollywoodiens (avec Zack Snyder) dont le moindre projet est scruté à la loupe voire, diront certains, étudié au microscope. Cinéaste consciencieux attaché au moindre détail, Villeneuve incarne la nouvelle épure visuelle. Une sorte de poinçon apposée par l'ultra auteur en opposition totale envers la richesse décadente de l'infographie qui gangrène le Septième Art. Un messie pour les doux jeunes cinéphiles mais aussi, pour les anciens vieux routards de la pelloche, un sinistre artiste dont les formes toutes tristounettes incarnent l'appauvrissement du genre SF. Forcément au milieu de ce bouillonnement passionnel, Dune premier du nom aura scindé en deux groupes "la terre cinéma" et son succès relatif en salles continue de nourrir les arguments contradictoires tant artistiques qu'économiques. L'oeuvre de David Lynch sortie du placard allant même jusqu'à servir de bélier pour abattre le nouveau prétendant au trône. Pourtant la Warner mise sur son rejeton et alloue une fort belle somme pour son extension.

Que ceux désireux d'y retrouver les vapeurs du bong des romans d'Herbert comme subversion dissimulée en sous-texte peuvent enfin rester dans la salle. Denis Villeneuve a tout autant le souci de coller à une époque en phase avec les substances hallucinogènes qu'à inscrire un nouveau monument dans la pop culture avec en ligne de mire, une gloire équivalente à celle du Seigneur des anneaux. Et le long prologue est une réelle bénédiction à mi-chemin entre un Lawrence d'Arabie sous canabis ayant subi une bouture avec le Star Wars de George Lucas aux accents sibyllins de 2001, L'odyssée de l'espace, foetus à l'appui. On pourrait même spéculer sur une inspiration des formes géométriques des intérieurs de La montagne sacrée de Jodorowsky. Oui, dit comme ça, ça paraît inatteignable et pourtant l'impossible tour mystico-cinematographique se déroule sous nos yeux ébahis bercés par les dominantes orangées du chef op' magicien Greig Fraser. Paul et sa mère se fondent au sein du peuple Fremen et dans une logique culturelle de tropes archi connus, Villeneuve rejoue la scène de l'humble élu humant le même air que l'indigène avant d'emballer sa promise.

Le réalisateur de Prisoners a-t-il signé la plus belle demi-heure de sa carrière ? Si l'on ne peut être qu'admiratif devant ce déploiement de forces sur une courte durée, les nombreux écueils vont ternir par la suite l'édifice à la manière du supplice chinois de la goutte d'eau sur le front du spectateur. Depuis l'entrée en production de ce second volet, on nous vend le terme "épique" comme l'aboutissement de ce diptyque. Le film injecte ses doses cathartiques d'action réglées au métronome mais, étrangement, en évinçant leurs conclusions, en émasculant certaines scènes de plans capitaux (l'essentiel de la violence tient du hors champ) ou tout simplement en écartant certains seconds couteaux mystérieusement séparés du groupe rebelle puis sacrifiés par les Harkonnen, Dune 2 amoindrit sa force de frappe. Dans sa logique narrative aux ellipses fébriles ainsi qu'aux étranges coupes franches, Dune 2 entasse les séquences les unes derrière les autres sans fluidité. L'action y est malmenée comme un inassouvissement de la jouissance promise mais le plus préjudiciable reste l'introduction au chausse-pieds d'un bad Guy, le terrible Feyd-Rotha (Austin Butler) afin de relancer les enjeux et de renouveler sa mécanique de nouveaux visages. Cette sensation d'embouteillage séquentielle met alors le doute sur les fondations entières du projet. Denis Villeneuve a-t-il dû refréner ses ardeurs au montage dans le but d'obtenir une durée "honnête" de 2H43 ? Le choix de porter son regard sur le peuple Fremen dans un souhait de compassion et d'empathie (on imagine la démarche politique) déstabilise l'omniscience du point de vue et appauvrit les antagonistes. Un déséquilibre ressenti à l'égard du Baron Harkonnen finalement plus stratège que réellement abjecte -On ne peut s'empêcher d'évoquer la version Lynchienne en phase avec la notion de chair et de sang issue d'une incarnation vampirique grasse et pathologique- le personnage colossal de Ballan (Dave Bautista) ramené à une condition de bouffon. Où se porte alors la fascination et l'hostilité pour la partie adverse ? Que dire de L'Empereur (Christopher Walken) écrasé en une poignée de secondes montre en main ? Que dirait Hitchcock face à cette adversité caractérisée par l'échec et l'amoindrissement des forces obscures ? Ainsi le parcours des Fremen dans leur quête d'émancipation y est d'une banalité extrême et n'a pour objectif que de reproduire le même geste libérateur que d'autres ont déjà reproduit en amont.

Tout est donc question de déséquilibre des plaisirs suscités dans Dune 2. Par l'entremise de ses protagonistes,Villeneuve tease des araignées des sables, des mille-pattes venimeux. Il n'en ressort que promesses au pluriel mais jamais d'accomplissement/d'exécution réelle. Illustrée par le placebo musical de Zimmer Dune 2 magnifie ses personnages shootés devant les astres souverains. Le réalisateur brosse des tableaux mais évacue le mouvement comme un caillou dans la chaussure. Voilà l'illusion d'un grand film. L'illusion seulement...

Créée

le 28 févr. 2024

Critique lue 2.7K fois

82 j'aime

38 commentaires

Critique lue 2.7K fois

82
38

D'autres avis sur Dune - Deuxième partie

Dune - Deuxième partie
blobyla1
7

Du grand et beau cinéma, malgré tout.

Ce qui m'a toujours fasciné chez Denis Villeneuve, ce sont ces réalisations impressionnantes, cet impossible projet dans le regard de son objectif, qui soudainement se transforme en une vision du...

le 4 mars 2024

188 j'aime

Dune - Deuxième partie
Yoshii
5

Ensablement d'un blockbuster d'auteur

Denis Villeneuve est probablement un garçon bien élevé, un être poli, qui s'est fait un devoir de satisfaire ses contemporains. C'est d'ailleurs ce qu'il s'applique brillamment à réaliser depuis...

le 28 févr. 2024

169 j'aime

20

Dune - Deuxième partie
Plume231
3

Épices sans goût !

Alors, je ne sais pas si c'est le cinéphile que j'étais en 2021 qui était nettement plus indulgent que celui que je suis en 2024 (j'ai trop la flemme et trop d'autres films à visionner pour le...

le 28 févr. 2024

129 j'aime

62

Du même critique

Midnight Special
Star-Lord09
7

ALTON EST LE FILS DE KRYPTON

C'est un critique malheureux qui prend la plume. Malheureux parce que l'orgasme filmique amorcé ne s'est pas produit. Malheureux parce que la promesse de caresser une époque révolue (celle des prods...

le 16 mars 2016

147 j'aime

87

Knight of Cups
Star-Lord09
8

DES DIEUX PARMI LES HOMMES.

Du plus haut des cieux avec "Tree of life" jusqu'au plus profond de l'âme humaine avec "To the wonder", voici venir l'entre-deux "Knight of cups" oeuvre du démiurge Malick. Si la palme d'or de 2011...

le 13 oct. 2015

116 j'aime

49

Youth
Star-Lord09
7

UN COUP D'OEIL DANS LE RETRO.

Youth est un boomerang qui, mal lancé, reviendrait dans la truffe du critique malin d'avoir découvert toutes les thématiques évidentes du dernier Sorrentino. A savoir la sagesse, le recul et surtout...

le 12 sept. 2015

101 j'aime

26