Je n’ai rien inventé car tout est dans le livre, qui contient cette mythologie, à laquelle je voulais rendre hommage en la portant à l’écran du mieux que je le pouvais.
Formaliste maladif, illogisme de son découpage et du rythme de ses films, esthétique pâle ou surchargée de couleurs… le style maniériste si caractéristique du cinéma de Denis Villeneuve est à prendre comme il est. Sa radicalité à double tranchant fait naître des œuvres parfois tiraillées entre une exploration profonde de personnages complexes et une toute-puissance de l'image, mais qui paradoxalement sont la matrice d'élans tragiques et épiques absolument parfaits. Villeneuve sait que l'ambition est ce qui rouvre les portes de l'émerveillement face à un univers fictionnel, Dune jouait avec les perspectives, les lignes d'horizon et les plans larges pour emprisonner les corps dans l'immensité de son univers avant de les relâcher dans une ultime séquence magistrale où sous le lever du soleil, le désert d'Arrakis sonnait comme la fin (ou plutôt comme le début) d'un des plus grands voyages de science-fiction qu'il ait été possible de voir au cinéma.
Mais tout en conservant la vibration épique de son ainé, il est indéniable que Dune - Deuxième partie franchit artistiquement un cap ; la beauté des compositions mêlée à un travail de la lumière, de la matière (notamment l'attention portée sur l'épice et le sable) et du son absolument grisant montre que Arrakis est plus sublime et dangereuse que jamais et laisse paraître davantage les sensations ressenties par les personnages qui l'explorent. Cette proximité quasi-charnelle de la caméra permet également de toujours se raccrocher aux corps, aussi bien dans les plans d'ensemble où ces derniers envahissent le cadre, dans les moments de silence où ces derniers ne font plus qu'un avec le sable ou encore dans les chorégraphies plus brutales des combats. Absolument tout est pensé dans un rapport organique où les personnages exploitent le décor afin de survivre face à l'hostilité d'Arrakis - et qui atteindra son paroxysme lors de la magnifique scène de domptage d'un Shai-Hulud sous la bande-originale une nouvelle fois explosive de Hans Zimmer.
De ce point-de-vue, Dune - Deuxième partie atteint donc une forme d'apothéose dans ses ambitions de space opera mais également celui d'un contraste permanent avec la rationalisation du parcours de son héros où ce dernier - tiraillé entre un guerrier guidé par la vengeance et un Messie dont la légende résonne depuis des siècles - devient un monde à lui tout seul. Alors que les machinations, les bruits de couloir et la propagande ne cessent de circuler, Villeneuve matérialise plus que jamais l'interrogation fondamentale de l'oeuvre de Franck Herbert : le besoin de croire en des héros, pour le meilleur et pour le pire. Le film fait donc de la foi son motif central et renvoie à une forme de connexion constante entre le spectateur et les personnages dans un effet miroir inquiet du monde contemporain où tout le monde peut être confronté aux mêmes pièges et risques du fanatisme : une arme de destruction et de manipulation. Alors que le personnage de Paul devient la figure vénérée et crainte du Lisan al-Gaib, sa transformation cache surtout une forme incontrôlable de monstruosité et de douleur écrasant son désir initial de protéger Arrakis et les Fremen. À l'aube d'une guerre sainte, la véritable surprise de Dune - Deuxième partie ne réside plus dans son final grandiose mais dans le commencement d'un destin inévitable où les faibles s'inclinent, où les puissants - s'emparant du pouvoir - promettent un bouleversement afin de donner la foi nécessaire pour combattre.