Au terme de la projection, en sortant de la salle de cinéma, j'entends autour de moi les commentaires de spectateurs, tous semblables, automatiques, presque gênés : "wouah, visuellement c'était bien ! - oui, impressionnant !". De ce genre de film en effet, il n'y a guère plus que ça à dire. Ce type de commentaire-réflexe, c'est un peu comme applaudir le pilote qui a atterri sans encombre sur la piste : un jour il disparaitra, quand tout le monde aura fini par admettre que les effets spéciaux de blockbusters sont tous visuellement très aboutis depuis 10 ans, sans plus d'innovation majeure, et qu'en réalité ça ne surprend plus grande monde.
Pour ma part, la seule impression que me laisse le film est que Villeneuve est devenu un pilote automatique, comme une IA qu'on aurait paramétrée pour générer un blockbuster clés en main. C'est encore plus prégnant que pour le premier opus : alors qu'on part d'une intrigue et un univers qu'on pressent fascinant et épique, le film semble dénué de toute patte, de vision, de mise en scène, et ce malgré une débauche d'artifices techniques, visuels et esthétiques.
On sent Villeneuve sans cesse empêtré dans sa trame narrative. Comme si adapter l'œuvre littéraire d'Herbert, certes titanesque, consistait à énumérer une succession d'évènements relatés dans les livres à la manière d'une série condensée sur 3h, et qu'il suffisait de leur donner un semblant de cohérence d'ensemble, d'expliquer régulièrement ce qui se passe - avec une lourdeur didactique très pénible - puis, là où il reste une case disponible dans le story board, d'y insérer une scène d'action.
A partir de là, oui, le spectateur rompu au visionnage de séries en streaming arrive à comprendre l'histoire, peut se laisser porter, et apprécier le spectacle qui lui est offert - certaines scènes d'action sont très réussies (le rite initiatique de Paul) -.
Mais bon sang que tout cela est manufacturé, sans vie !… Villeneuve confirme son incapacité à donner une âme à l'univers d'Herbert. Je relève quelques aspects saillants qui à mon avis expliquent cette béance :
- Le casting paillette. On sait maintenant bien que dans une œuvre de science fiction qui se veut tragique, il ne faut jamais intégrer au casting de star d'Hollywood qui vous sorte complètement des personnages. Ici, avez-vous eu le sentiment de suivre la tragédie de Paul Atréides, de Chani, Stilgar et les intrigantes Bene Gesserit ? Moi rien à faire, j'ai surtout vu Timothée Chalamet, Zendaya, Javier Bardem, Léa Seydoux et Charlotte Rampling déguisés en bédouins hipster, et dont le jeu est d'ailleurs terriblement monochrome. Mention spéciale, à nouveau, à Timothée Chalamet dont vraiment le talent m'échappe ; quel écart abyssal entre le charisme supposé de Paul et le sien !... On a l'impression de voir jouer un acteur amateur que le réalisateur a briefé juste avant chaque scène : "ici joue la colère", "là tu es triste", "là crie très fort pour montrer que tu deviens un leader plein d'assurance"... Jamais une expression de visage ou un geste qui surprenne, qui saisisse, ou suscite de l'émotion… Et tout simplement, pas le physique de l'emploi.
- Un désinvestissement total du traitement des relations entre les personnages, qui ôte de facto toute dramaturgie. La pire illustration de ce vide étant la romance entre Chani et Paul, insipide au possible. A aucun moment on ne comprend pour quelle raison ces deux-là se plaisent, ni dans un sens ni dans l'autre. Par contre ça va vite : un bisou, dès la scène suivante les amants partagent leur couche (il faut pourtant être prudent car dans Dune, il semble qu'à chaque fois qu'une union est suggérée, il y a un bébé à la clé), et hop Paul déclare à Chani qu'il l'aimera jusqu'à son dernier souffle. Il aurait pu faire cette déclaration d'amour à un ver des sables, honnêtement ça m'aurait fait le même effet. En fait, il n'y a pas un seul dialogue gratuit dans le film : toutes les interactions entre les personnages ont pour fonction d'expliquer l'intrigue, ou de la faire avancer.
De même, si on fait fi de son maquillage de skinhead démoniaque, le personnage de Feyd-Rautha Harkonnen se révèle lui aussi insignifiant ; ce qui n'est pas le moindre des paradoxes quand on compte le nombre de scènes qui lui est consacré, dont l'une des plus impressionnantes - l'arène - a pour unique fonction de montrer qu'il est vraiment très, très méchant - et accessoirement un piètre combattant, puisque apparemment, vaincre des prisonniers drogués et sans armure est pour lui un exploit. Villeneuve n'a pas su lui donner d'autre consistance que celle d'un personnage de jeu vidéo, le "boss" de fin de niveau de l'épisode 2. A ce compte-là, il y avait de quoi raccourcir le film…
- L'absence de finalité, de sens. Les deux épisodes cumulés de "Dune" font près de 6h de long, et je n'ai toujours pas saisi pourquoi tous ces gens se battent. Sur quoi ou qui règnent-ils ? Quels peuples défendent-ils ? Qu'attendent les Fremens de leur Messie ? En quoi sont-ils gênés par l'extraction par les Harkonnen de l'épice - alors qu'avec les Atréides, dans les mêmes circonstances ça semblait leur aller - dans ce désert où on ne semble pourtant pas manquer de place ? A croire que le film est l'adaptation, non d'un roman, mais d'un jeu de stratégie - là encore le jeu vidéo n'est pas loin, ce qui en dit long… - : on avance des pions, on gère une ressource - l'épice - mais aucune motivation n'est incarnée, il n'y a aucune finalité à rien. Du reste, il est très révélateur que sur les 6h du Dune de Villeneuve, excepté les lignées de la noblesse on ne trouve aucune famille, aucun enfant ; que des adultes, tous guerriers. Oui, des pions, interchangeables, sans visage.
C'est même pire qu'au premier opus, car ici même en restant très prosaïque on ne comprend plus les motivations des personnages : par rapport aux enjeux de départ, Paul a au mieux un désir de vengeance, mais pourquoi soudainement l'envie d'usurper le trône de l'empereur ? Juste parce qu'il a bu de l'eau de vie, il change de personnalité et souhaite embrasser la destinée qu'il cherche à fuir depuis le début ? A part cette potion-qui-change-le-scénario, je n'ai vu aucun autre élément narratif déclencheur de la guerre sainte. Une destinée qui, en songe, semble à Paul si terrible, mais ne touche pas du tout le spectateur, puisque rien n'est incarné depuis le début. Rien ne risque de mourir puisque rien n'est jamais vraiment né.
- L'aspect théologique et spirituel enfin, qui devait prendre corps dans ce second épisode à travers la figure messianique de Paul. Je le supposais christique, il n'en est rien : Au contraire du Christ qui, après sa Résurrection, déçoit ses disciples qui attendaient qu'il siège sur le trône terrestre de David, et au lieu de ça leur révèle le vrai Royaume de Dieu, Paul Atréides lui se contente d'être un simple conquérant. Plutôt un Mahomet, donc ? Même pas, puisque Paul n'est le prophète de personne, si ce n'est de lui-même. Les termes qui le désignent sont dès lors très ambigus : il est le Mahdi ("le guide"), mais on ne sait pas vers quoi il mène son peuple, pas même lui ; il est le Lisan-al-Gaib ("la Voix d'Ailleurs"), mais il ne prophétise rien qui soit "d'ailleurs" ; il n'annonce rien d'autre que son propre destin, et le carnage qui va avec.
Du reste, le film ne met que peu en valeur les prétendus "signes", si ce n'est le talent inné de Paul à surfer sur les vers... Tout ceci montre que des religions, Villeneuve n'en a saisi que le vernis et le folklore, sans jamais comprendre les thèmes théologiques et philosophiques soulevés par l'œuvre Herbert ; pas plus, d'ailleurs, que les autres sujets de fond comme l'écologie ou le transhumanisme/eugénisme (via les Bene Gesserit et la sélection génétique de leurs élus) qui semblaient intéressants.
Le premier épisode de "Dune", qui n'était pas plus réussi, avait au moins l'excuse d'un lourd cahier des charges, à devoir introduire le spectateur à l'univers original d'Herbert, de poser les motivations de tous les protagonistes et d'expliquer les intrigues géopolitiques. Hélas, "Dune 2" entérine sans ambiguïté les défauts du premier épisode, et il semble maintenant clair que l'adaptation portée par Villeneuve, toute ornée de beaux artifices qu'elle soit, condamne cette saga à devenir, je le crains, une coquille sans âme…