Christopher Nolan l'a dit et répété à qui voulait bien l'entendre : Dunkirk sera du cinéma expérimental. Si l'annonce peut faire sourire dans la bouche de ce réalisateur, certains éléments nous laisseront penser qu'il n'a finalement pas complètement tort.
Il faudra d'abord se pencher sur la définition même de cinéma expérimental. Si la filmographie de l'anglais ne contient effectivement pas les images psychédéliques ou montages épileptiques des clichés de ce genre cinématographique, on a bien, si l'on excepte ses films de commande (Insomnia et la trilogie Dark Knight), une envie à chaque film de plonger le spectateur dans une expérience. Expérience qui se fait d'ailleurs reflet du personnage principal : c'était le montage à rebours de Memento, le prestige du film du même nom, et l'incertitude de la réalité de Inception. Seul Interstellar échappe à cette règle, annonçant une évolution certaine dans le cinéma de Nolan.
On peut donc d'ors et déjà comprendre que d'une certaine manière, Nolan est un réalisateur de films expérimentaux depuis toujours. Qu'en est-il donc pour ce dernier film, qui a la tâche de suivre l'évolution annoncée par Interstellar, et de ne pas décevoir suite aux déclarations de son réalisateur ?
Une expérience, Dunkirk l'est sans aucun doute. Nous sommes en réalité en face d'une unique scène, du climax d'un film en trois actes, étirée sur une heure et quarante-cinq minutes. Cela implique un background inexistant pour les personnages, et une tension quasiment jamais relâchée. Comment, malgré ces contraintes presque anti-cinématographique, Nolan réussit à accomplir un film aussi palpitant ? D'abord, cela a été dit, en transformant son cinéma d'habitude sur explicatif en cinéma d'expérience, ce qui implique de tout faire, comme pour ses précédents films, pour empêcher le spectateur de sortir de cette expérience. Cela peut expliquer l'aspect monolithique du film, mais également son manque de gore, ce genre de procédé impliquant un choc émotionnel au spectateur, qui par réflexe tout à fait humain et inconscient, se sortira du film pour reprendre son souffle.
Mais c'est surtout par sa maîtrise de la mise en scène que Nolan impressionne.
Car l'anglais est avant tout un réalisateur ayant tout compris du médium cinématographique en tant que divertissement. Ce n'est pas un hasard s'il s'agit là probablement du réalisateur le plus populaire de notre époque, chaque film devenant un événement différant du précédent. Et cette maîtrise rendant un film quasiment sans thématiques visibles passionnant (autre marque du cinéma expérimental), c'est d'abord celle de la tension, amenée à la fois par la gestion de l'espace, du temps et du montage, trois éléments représentés par les trois lieux du film : la mer, la plage et les airs. Le film n'est finalement qu'un long montage magnifiquement alterné, l'espace permet une visualisation globale empêchant de perdre le spectateur qui pourra donc être diverti, et bien sûr le temps, cher au réalisateur, qui par différentes timelines appelées à se retrouver pour l'apothéose, constitue un des éléments principaux de la tension du film.
Cette tension est tout ce qui importe ici. Les personnages sont des enfants sans passé, et après avoir acculé l'humanité face à la fin de son espèce dans Interstellar, Nolan continue de creuser ce que deviendra l'Homme lorsque la seule chose qui importe est sa survie. Ainsi, le film devient une expérience non pas de la guerre, mais de l'humanité dans ce qu'elle a de plus primale. Caractéristique que partageront donc les personnages et le film dans lequel ils prennent part : Dunkirk est du cinéma expérimental, car Dunkirk se dénue de tout artifice.
Réussir un numéro aussi bancal de façon aussi grandiose tient plus de la maîtrise que du génie. Nolan, malgré ses visées d'auteur, est d'avantage un artisan qu'un artiste. Un artisan au service de ses spectateurs, qui, bien contents de trouver un réalisateur qui comprend ce dont ils ont envie, n'hésiteront pas à se laisser manipuler par un des maîtres cinématographiques d'aujourd'hui.
Bien sûr, sans qu'ils ne s'en rendent compte. Mais c'est bien là que le cinéma est grand.