Chaque sortie d’un nouveau film de Christopher Nolan cristallise les attentes et focalise toutes les attentions. On ne présente plus le réalisateur du Prestige, de The Dark Knight, d’Inception ou d’Interstellar. Resté sur une note globalement positive avec son dernier film, le cinéaste britannique a choisi la guerre comme thème de son nouveau film, Dunkerque. Un film qui suscitait à la fois impatience, prudence et méfiance de la part des spectateurs.
Il faut l’avouer, des films de guerre, il y en a à la pelle, et à peu près tous les cinéastes les plus reconnus et expérimentés ont déjà exploré le genre, que ce soit Kubrick avec Les Sentiers de la Gloire et Full Metal Jacket, Francis Ford Coppola avec Apocalypse Now, Jean Renoir avec La Grande Illusion, Andreï Tarkovski avec L’Enfance d’Ivan, Terrence Malick avec La Ligne Rouge, Steven Spielberg avec Il faut sauver le soldat Ryan… Bref, vous l’aurez compris, autant de films et de réalisateurs que de manières de traiter un sujet qui a marqué et marque encore l’humanité aujourd’hui. Comme une étape obligatoire dans la carrière d’un grand cinéaste, c’est un moyen de montrer les heures les plus sombres de notre histoire et même d’exprimer des opinions politiques.
Pour un cinéaste comme Christopher Nolan, il s’agissait d’un défi, car les attentes autour de ses films sont toujours hautes, et qu’il faut l’avouer, il est difficile aujourd’hui de trouver des sources d’innovation dans un genre étudié maintes et maintes fois. Ce qu’il faut reconnaître à Nolan, c’est sa capacité à proposer des films s’adressant à un large public sans renier le travail scénaristique derrière, et à tenter des choses sans trahir sa ligne de conduite, ce qui est rare à notre époque, où la suprématie des grosses maisons de production pousse vers une uniformisation des canons cinématographiques et des partis pris artistiques très épars voire totalement entravés.
Vous dire que Dunkerque est un mauvais film serait vous mentir. C’est un bon film et une expérience intéressante, mais il serait exagéré de l’élever parmi les plus grands films de guerre et son ancrage durable dans la mémoire du spectateur est sujet à débat. Nolan l’avait dit, son film a pour but de proposer une expérience sensorielle brute cherchant à s’affranchir notamment au maximum de dialogues pour concentrer son effort sur une perception viscérale de la guerre et du drame qu’elle représente. Sur ce point, nul doute que le cinéaste remporte son pari avec un film visuellement très beau, prenant et mené tambour battant.
Il débute d’ailleurs sous les meilleurs auspices en nous plantant au beau milieu d’une ville de Dunkerque déserte puis sur de vastes plages pleines de soldats en perdition, nourrissant un réel climat de chaos et de peur, vecteur de son récit, qui se scinde en trois, voire quatre sous-histoires. Nolan cherche ici à capturer ce qu’il y a de plus brut, tant au niveau de la violence de la guerre, que de ce qui dirige le cœur des hommes, c’est-à-dire leur instinct de survie, primant sur l’esprit de camaraderie et de fraternité, donnant lieu à des situations où l’égoïsme de chacun se nourrit de la peur et pousse chacun à agir de manière déraisonnée, sans que nous puissions cependant réellement les blâmer.
C’est probablement ici le grand point fort de Dunkerque, où Nolan cherche à adopter le point de vue le plus neutre et le plus brut possible pour éviter tout biais et, une nouvelle fois se focaliser sur l’expérience et le vécu en temps réel. Le temps est également une des dimensions principales du film, représenté à diverses échelles, symbolisé par le croisement des histoires et le tic-tac incessant de la musique d’Hans Zimmer, soulignant la perpétuelle pression du temps et son aspect irrationnel dans un contexte aussi dangereux où la menace, volontairement sans visage et toujours hors-champ, est inéluctable.
Bien construit et rondement mené, le film de Nolan semble, ainsi décrit, exempt de tout défaut. Pourtant, malgré un visionnage sans temps mort ni relâchement, voire même avec quelques sursauts, il n’y a jamais réellement eu cette étincelle ou ce traumatisme que j’attends d’un film de guerre. En effet, sur ce point, Dunkerque s’avère très académique et, même si ce n’est pas forcément le but, ne parvient pas réellement à véhiculer un message ou quelque chose de particulier qui lui permet de se distinguer et de marquer durablement le spectateur.
Par exemple, des films comme Les Croix de Bois (1932), A l’Ouest, rien de nouveau (1930) et Les Sentiers de la Gloire (1957) ont su me marquer car ils véhiculent des messages chocs, proposent une intrigue soigneusement ficelée et mettent en scène des personnages marquants, avec une chute brutale. Et si je cite des vieux films, ce n’est pas par simple volonté d’épandre une quelconque culture cinématographique, mais simplement pour illustrer des films de guerre que je considère personnellement comme étant parmi les tous meilleurs et les plus marquants, là où je mettrais Dunkerque un cran en-dessous.
Dunkerque est donc un film globalement réussi, où Nolan réussit son pari en termes d’expérience et de visuel, à mi-chemin entre le grand spectacle et un cinéma plus suggestif, au risque de tout de même parfois trop vouloir dévoiler ses cartes sans laisser le spectateur réfléchir. Mais ce qu’il manque au film, c’est une véritable empreinte qui puisse nous faire dire que ce film a influencé notre vision des choses, qu’il a marqué notre esprit, et que l’on s’en souviendra longtemps. Peut-être n’était-ce pas la réelle volonté de Nolan, toujours est-il qu’il reste un bon film de guerre, mais certainement pas l’un des meilleurs.