Ce film de guerre est assurément l'un des plus spectaculaire jamais produit : 1000 figurants, matériel de l'époque, lieux réels, tout est vrai dans ce film. Il se démarque vraiment de tous ces blockbusters sur fond vert qui dégoulinent de trucages artificielles. Ici on voit tout. Les Britanniques excellent dans l'art de la reconstitution. Christopher Nolan ne déroge pas à cette règle. A tel point que l'on sentirait l'odeur du sel, du souffre et de l'huile encore chaude. La guerre est si palpable qu'on s'y croirait, jusqu'à en pressentir la matérialité morbide.
Evidemment il y a l'Histoire avec un grand H dans ce film. L'épisode que narre Nolan est important pour lui, car c'est un Britannique. Un jour, il a effectué la traversée entre Dunkerque et son île et éprouvé cet étrange sentiment de voguer sur les pas de héros, la mer à cet endroit là, quelques dizaines de kilomètres entre la France et l'Angleterre, c'est un bras de mer ridicule, un bras de mer aussi ridicule que mortel.
La bataille de Dunkerque est importante pour l'histoire militaire britannique et française et pour la suite de la Seconde guerre mondiale. Les alliés, acculés, se retrouvent dans une poche minuscule de 20 kilomètres sur 10. 400 000 hommes, un matériel pléthorique, parmi les meilleures troupes, du corps expéditionnaires britanniques, des Belges et des Français. Là, entre la mer et les Allemands, ils vont tenir des jours dans une invraisemblable confusion. Churchill, s'il dit aux Alliés qu'il les soutient, en secret lance l'évacuation de ses hommes. C'est l'opération Dynamo. S'en suit la réquisition des navires marchands et de plaisances des côtes anglaises pour parvenir à l'évacuation.
C'est ça que raconte Nolan. Une évacuation, une retraite, presque une débandade. Mais comme Churchill saura en faire une victoire, il en fait un récit brave et héroïque. Seul bémol à ce tableau, l'absence des Français, que l'on voit furtivement au début et qui tiendront seuls des jours durant, à presque 1 contre 30 la ville. Mais quelque part cela illustre aussi la réalité historique, les Britanniques auront lâché l'armée française mais c'était peut-être nécessaire pour leur propre survie et le futur de la guerre. Militairement les alliés étaient dépassés par l'agressivité allemande. Pourtant tout n'était pas perdu militairement encore à ce moment là mais le pessimisme et la mésentente politique auront achevé le reste. Les Belges vont capituler, les Anglais vont partir, les Français vont rester seuls. La défaite est avant tout politique : une alliance qui fonctionne mal, des initiatives isolées et surtout une tactique défensive, sur la réserve qui ne pouvait payer. Hitler, avec la percée de Sedan, avait pris tous les risques militaires possibles, et ce choix a, hélas, payé.
Nolan met en scène deux pilotes de la RAF qui vont être héroïques pour écarter les avions de la Luftwaffe. Il montre aussi un père, son fils et un ami qui, un bon matin, embarquent sur leur navire de plaisance pour venir sauver l'armée britannique. Enfin il s'attarde sur le destin des troupes restées au sol et qui vont voguer d'embarcations en embarcations et d'horreurs en horreurs. Un bateau, un autre, encore un autre, à tour de rôle coulés ou torpillés, la plage où ils sont acculés pour repartir sous les assauts des bombes. Et tout s'enchâsse pour reconstituer un panorama presque documentaire de cette grande bataille dont on ne voit finalement que des fragments.
La tension atteint ici une rare apogée, parce que tout est vrai. La balle courbe l'échine du spectateur, la peur tenaille les protagonistes et les spectateurs parce qu'ils sont ordinaires, parce qu'ils pourraient être nous, parce qu'ils pourraient mourrir. Le réalisateur filme les visages, en gros plans, laissant transparaitre leurs émotions et surtout leur épouvante, nous embarque avec eux, caméra à l'épaule. On y est. Mais les intrigues entre les personnages sont secondaires. Les protagonistes ne sont que des pions lancés dans une retraite désespérée. Nolan utilise une narration fragmentée comme des éclats d'obus. La guerre est vécue par trois narrations enchâssées qui se recoupent. Elles sont chacune le reflet d'une réalité de la bataille de Dunkerque. Quelques scènes sont touchantes : celle où le commandant (Kenneth Branagh), les larmes aux yeux, voient des civils arriver en bateau de plaisance ou de pêche sauver ses hommes, celle où le jeune garçon qui se trouvait bon à rien meurt en tombant suite à une dispute dans la cale d'un navire, une mort inutile et absurde que son ami sublimera en écrivant un portrait héroïque de lui dans le journal. Les scènes sur terre - l'introduction in media res est stupéfiante - , où les troupes sont à la merci des Allemands sont particulièrement angoissantes car Nolan montre aussi comment la peur, la faim, l'horreur, peuvent transformer un homme et le pousser pour survivre, c'est à dire pousser à tout, même au pire. Mais l'intrigue reste ténue, secondaire et l'émotion est froide, presque impossible dans le désespoir ambiant. On ne peut s'y attarder tant la bataille fait rage.
On finit par s'étonner que cette opération soit un succès, que les soldats rentrent à bon port en grande partie, tant elle avait tout du désastre. Ils sont accueillis en héros, jours de liesse comme si la guerre était finie, alors que ces quelques jours de Dunkerque n'était qu'une miette, à peine un aperçu de la guerre encore à venir. "Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais, c'est peut-être la fin du commencement" comme dirait Churchill.
Mais on s'étonne aussi, par instant, alors que Nolan est plutôt un réalisateur que je qualifierais de froid, méthodique, scientifique - bien que j'apprécie son cinéma - de la beauté de la photographie. Il y a presque une poésie de la mer et des marins, une sorte d'ode maritime qui surgit dont on ne sait où parmi l'horreur. Un pâle soleil qui éclaire la mer étale, les frêles esquifs de plaisance tout droit sortis d'une aquarelle, les avions qui chaloupent dans un ciel bleu comme la Manche, ce pilote qui se pose sur la plage, cette plage de Dunkerque et son sable strié par les marées, les amoncellements de casques, de ferrailles et de carcasses de véhicules, litotes de toutes les âmes disparues dans les gouffres de l'océan ou la boue de la guerre ; tout cela est beau, étrangement.
Puis, il y a Hans Zimmer. A un moment clé du film, le compositeur abandonne ses mélodies effrénées et angoissantes pour réinterpréter les sublimes variations d'Elgar. Résonnent alors toute l'élégance et le lyrisme britannique. Le désastre militaire devient un acte héroïque, et mieux une victoire. Nolan serait presque patriote. Il ne manquerait qu'un God save the Queen (Les variations d'Elgar, d'ailleurs, sont un peu le second hymne britannique).
Nolan a comparé son récit à celui de la fuite des Juifs d'Egypte, comparaison audacieuse mais pas totalement absurde car, au-delà de la mer et d'une armée ennemie qui s'avance implacable pour y acculer nos héros, il y a quelque chose de mythique, de légendaire presque, en un mot d'épique, que Nolan retranscrit à l'écran. Cette retraite n'est finalement que le reflet d'autres récits universels, à tel point l'hyper-réaliste Nolan se moque de filmer Dunkerque avec ses bâtiments contemporains que l'on aperçoit parfois en arrière plan. Comme si finalement l'histoire avait quelque chose d'atemporelle. Mais c'est aussi la limite de son parti pris, parce que la reconstitution dans son film est si exacte, qu'elle s'ancre, inévitablement, dans une époque.
Avec Nolan, il n'y a pas de répit, son film est d'une beauté sidérante, son esthétique se marie terriblement bien avec la barbarie. Sa technique va de paire avec la technicité de la boucherie. La guerre y est mise à nue, audible, palpable, comme le serait le souffle fétide de la mort sur une peau encore chaude. On reste de marbre par moment devant les protagonistes -, les scènes d'aviation en particulier sont un peu longues, mais cela est secondaire, ce n'est pas ce qui intéresse le réalisateur. Nolan, lui, il filme la guerre comme un personnage ; avec ses armes, ses outils, ses esclaves à ses ordres ; toute une machinerie inhumaine au service de la destruction. La guerre totale, dans tous les sens du terme, retranscrite comme rarement à l'écran.
On ne peut s'empêcher de songer à tous ces soldats morts et aux survivants, ces héros anonymes, des gamins pour la plupart, sauvés pour que les combats continuent, pour prolonger le supplice, dans une forme d'ironie dont la guerre seule a le secret.