Dunkerque, 1940.
La jetée : une semaine
400 000 soldats sont bloqués sur les plages de la ville, en attente d’être embarqués pour l’Angleterre, sous l’œil impuissant de leurs officiers (Kenneth Branagh, d'une sobriété qu'on ne lui connaissait pas, et James D’Arcy). Deux soldats (Fionn Whitehead et Aneurin Barnard) sont prêts à tout tenter pour grimper sur un des navires en partance pour l'Angleterre sur lequel il n'y a pas de place pour eux.
La mer : un jour
A Londres, les bateaux civils sont réquisitionnés par la Navy afin de traverser la Mer du Nord jusqu’à Dunkerque et y embarquer les soldats. Le capitaine du Moonstone (Mark Rylance) décide de partir lui-même au cœur de la tourmente afin d’y sauver ses compatriotes.
Dans les airs : une heure
Les combats ont aussi gagné les airs, où un pilote (Tom Hardy) cherche à abattre le plus possible d’avions ennemis, même s’il doit en tomber à court d’essence.
Tous ces hommes vont voir leur destinée se croiser dans l’enfer de Dunkerque...
Sans nul doute, le Dunkerque de Nolan est l’anti-Week-end à Zuydcoote. Alors que, dans ce dernier, Henri Verneuil et Robert Merle s’ingéniaient à désacraliser la guerre en faisant du combattant un homme désabusé et égoïste ayant perdu tout espoir et toute grandeur, Christopher Nolan prend leur exact contrepied en redonnant au soldat ses lettres de noblesse.
La grande qualité de Dunkerque, malgré tout ce que ses détracteurs pourront en dire, réside en effet dans son aspect humain. Car, si l’on pourrait regretter de prime abord de voir les personnages sacrifiés à la fresque historique, il n’en est rien, et Nolan trouve le parfait équilibre entre narration des événements (toutes les scènes montrées s’inspirent d’événements réels sans exception, bon nombre d’historiens et de vétérans de la Seconde Guerre Mondiale ayant été consultés pour le film) et focalisation sur des personnages spécifiques au sein de la tourmente. Sans occulter la conduite peu glorieuse de bon nombre de soldats (avec la satisfaction de voir que les Français sont plusieurs fois évoqués, et pas en mauvaise part), le réalisateur n’oublie pas de nous faire suivre quelques vrais soldats et vrais héros entièrement dévoués à l’armée, remplis d’un honneur tout militaire, qui contrebalance parfaitement le portrait souvent noir que notre époque contemporaine se plaît souvent à dresser du soldat.
En outre, Christopher Nolan étant l’homme de la mesure par excellence, c’est sans grands effets de manche qu’il nous raconte son récit. Mise en scène sobre et dialogues réduits au strict minimum sont donc à prévoir, donnant presque à ce Dunkerque les caractéristiques d’un film muet. Cette réduction des mots permet de donner à ces derniers toute leur force, et c’est dans des phrases extrêmement laconiques voire des jeux de regards muets qu’éclate tout l’impact émotionnel du film, servi par un casting sans aucune erreur,
(la scène où Kenneth Branagh décide de rester sur le quai afin d’aider les Français qui se battent encore ou bien l’atterrissage de Tom Hardy sous les vivats des soldats à terre, brillantes).
Si l’aspect muet du film en renforce l’émotion, il met également en valeur sa qualité picturale hallucinante, le directeur de la photographie Hoyte van Hoytema nous offrant des plans d’une époustouflante beauté, qui confinent à l’abstraction en réduisant tous les éléments de la guerre à de simples formes (le sillage lumineux des balles, les rangs serpentins de soldats vus du ciel, les jeux de contraste lumineux entre les barques et la ville pendant la nuit, les lumières fugitives aperçues par les soldats en train de se noyer, les grandes étendues désertes de sable et d’écume...). Ce faisant, Nolan esthétise la guerre d’une manière jamais vue, donnant à Dunkerque la beauté brute, à la fois lapidaire et floue, d’une toile impressionniste, mise en musique de manière étonnante par un Zimmer qui tente des innovations sonores, à la musicalité extrêmement douteuse (à noter toutefois une excellente déstructuration musicale de la variation Nimrod d’Elgar due, elle, à Benjamin Wallfisch), mais qui sont constamment appropriées aux images.
Certes, le film de Nolan est loin du film de guerre minutieux dans ses moindres détails, et il y aurait sans doute beaucoup à redire sur la reconstitution historique en elle-même, malgré de louables efforts. Mais ce n’est pas faute de l’avoir répété lors de la promotion de Dunkerque, ce n’est pas littéralement un film de guerre que nous offre le réalisateur, mais bien un film de survie sur fond de guerre. Il s’agit donc d’immerger totalement son spectateur dans l’enfer aux côtés des soldats qui le vivent. Et si Nolan utilise pour ce faire quelques procédés parfois gros (à commencer par l’emploi de trois lignes narratives à la chronologie distincte, les trois récits entremêlés se déroulant respectivement en une semaine, en un jour et en une heure, dans un montage pas toujours pertinent, ou bien le tic-tac incessant en fond sonore), il parvient en tous cas tout-à-fait à plonger son spectateur au sein d’une expérience cinématographique unique, à la poésie brute, dont on ne ressort pas indemne.
Et comme en prime, Nolan poursuit le voyage humaniste au fond de l’âme humaine initié par Interstellar, en refusant de nous dresser le portrait unilatéralement noir et désespéré de l’homme que nous proposait Verneuil dans son film, on voit mal ce qui pourrait nous pousser à nous focaliser sur les infimes défauts de cette puissante épopée humaine et cinématographique qu’est Dunkerque. Comme d’habitude, on sort du film de Nolan en n’attendant plus qu’une chose : le prochain film de ce réalisateur hors-normes.