On peut reprocher plein de choses au militantisme affiché et au manque de précision de ce documentaire : un choix méticuleux d'images particulièrement insoutenables, une absence d'indications spatio-temporelles, une voix-off affectée et quelque peu moralisatrice, etc.
Seulement voilà : tout est vrai. En effet, qu'on le veuille ou non, Earthlings a le mérite de montrer clairement les choses, et nul ne peut plus ignorer après avoir visionné ce documentaire l'horreur (et encore, le mot est faible) qu'engendre notre système d'exploitation animale. Car quand bien même ce dernier serait sournoisement biaisé (c'est vrai que les véganes sont réputés pour être particulièrement abominables), qui parmi les fiers critiques peut encore prétendre consommer en-dehors de ce système infernal ? Et quel sceptique s'y retrouve encore dans la maîtrise et la mesure totales de son mode de vie personnel, au point de pouvoir dire : "Ah moi, non, je bouffe de la viande et je vais au cirque, mais je ne suis pas du tout concerné" ? Personne. Sans compter les implications économiques, écologiques, philosophiques, éthiques (etc.) du spécisme, auxquelles j'ajoute : Vraiment personne.
Alors si montrer la réalité est de la propagande, eh bien si l'on veut oui, en montrant les conséquences réelles du spécisme, Earthlings est de la propagande. Mais l'est-ce plus que ces discours mensongers, ces images édulcorées et ces excuses culturelles qui nous autorisent à nous lover confortablement dans l'illusion que l'exploitation animale est sans cruauté et sans conséquences désastreuses et multiples (pour notre économie, notre santé, notre environnement, etc.) ? J'en doute fort.
On pourra trouver Earthlings injustement ultra-violent dans ses évidentes accusations, et il me semble clair que ce dernier n'a pas d'autre but que de susciter chez le spectateur une émotion tout aussi violente (quelle qu'elle soit et envers qui que ce soit). Une immodération qui se justifie par une nécessité de commencer par se confronter aux images. Earthlings n'est absolument pas une fin, un film fielleux et sentencieux qui viendrait encenser les uns et exécrer les autres ; mais un début, une matière première, le support d'une réflexion saine et d'une remise en question de soi-même. Earthlings n'est pas définitif, il est pragmatique dans sa volonté de nous sortir de l'indifférence, de bouger les lignes d'un ordre durement établi et tellement confortable que sa remise en question n'est souvent envisagée que comme une déclaration de guerre entre deux extrêmes tout aussi bornés. Mais au-delà de cette logique stupide du tout ou rien qui crispe tout le monde sur les bases d'une perfection illusoire, accueillons le choc de ce film comme l'opportunité d'un nouvel humanisme, humble mais actif.