Comme un écho à L'homme blessé, 30 ans après, Gare du Nord rien n'a changé ou presque. De jeunes hommes vendent leurs corps. D'autres hommes les consomment. Qui a le pouvoir ? Celui qui a l'argent ? Celui qui a la jeunesse ? C'est le point de départ d'Eastern boys, film complexe et étonnant, profondément romanesque, un choc.

Du désir nait l'amour, de cet amour nait un autre amour. C'est une histoire de désirs, une histoire d'amour transformé. C'est une histoire de commerce et d'échanges, de perte de repères, de solitudes et de peurs, de confiance. Films de pleins et de déliés, de ruptures et de silences, Eastern boys repose sur une narration audacieuse, elle-même transformée par une mise en scène animale, lente puis nerveuse, puis lente à nouveau, nerveuse encore, à l'image de Marek/Rouslan, jeune animal à dompter.

Construit en quatre parties clairement identifiées, nommées, chapitres d'une même histoire, les deux premières quasiment muettes, d'abord un état des lieux, puis une danse, une transe envoûtante et hypnotique, la troisième comme une romance, vibrant récit amoureux, la dernière enfin, cassant à nouveau le rythme, retour à une réalité connue, plus convenue sans doute mais diablement efficace, nouant le ventre jusqu'au final ensoleillé, comme un espoir.

Robin Campillo conjugue la grammaire cinématographique avec une maîtrise rare. Les fondus enchaînés de la deuxième partie, les plages contemplatives de la troisième, la pudeur et la grâce avec laquelle il filme les corps, les mouvements, fait naître l'angoisse, la compassion, l'amour. Porté par des comédiens habités, Olivier Rabourdin impressionnant, le jeune Kirill Emelyanov, insolent et sauvage, sans oublier Danil Vorobyev en chef de bande fragile et Edea Darcque qui réussit la prouesse d'imposer son personnage en toute fin.

La musique d'Arnaud Rebotini apporte une respiration supplémentaire, épouse les courbes narratives d'un film riche et audacieux, qui brasse avec la même maîtrise l'intime et l'universel et dont on sort groggy, impressionné par la puissance qu'il dégage, nous rappelant que c'est pour de tels films qu'on aime le cinéma, que c'est ainsi que le cinéma s'exprime, existe, s'impose.

Avec Eastern boys, Robin Campillo fait entendre une voix cinématographique essentielle, celle de la modernité.

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le 4 avr. 2014

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pierreAfeu

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