Songes Amoureux de La Syrie Libre!
Que valent les mots face à ce requiem saisissant d'une nation autodestructrice?Exercice hautement jubilatoire autant que délicat et malaisé que la construction d'une critique juste et précise qui puisse rendre la pleine mesure à cette œuvre.Cernée par la colère et le désespoir tout autant qu'empreinte de la mélancolique poésie arabe,elle est la pleine et entière expression d'un peuple défait mais héroïque.Il m'est pourtant d'avis d'affirmer que l'incroyance puissance que dégage cet objet hybride ne sert qu'à conforter et confirmer notre bonne conscience de spectateur attristé par cet effroyable mise à mort.Conçu comme un témoignage direct du parricide étatique de la contrée Syrienne,il fait office d'avertissement et se rappelle à notre mémoire sélective embrouillée d'événements tragiques déjà passés à la postérité,chassés par le tourbillon médiatique des conflits mondiaux plus "télégéniques" à même d'accaparer l'audience.
Notre connaissance plus que partielle de L'Histoire Syrienne et la réduction qui en est faite à travers les journaux télévisés en affadit considérablement la complexe tradition et nous tend un miroir peu reluisant de notre suffisance.Il en va ainsi de nombreux autres cas similaires et ce que cela raconte de notre bienséance à l’égard des civilisations "bâtardes" n'est pas pour nous grandir.Nous en sommes alors réduits à attendre ce genre de film documentaire pour nous rendre compte que L'Horreur n'a pas de frontières et que notre méconnaissance culturelle dessert notre esprit critique.Nous avons alors beau jeux de verser des larmes de crocodile à la vision de La Terreur.Et les pires amalgames sont alors édictés comme vérités comptantes par nos visions étriquées de la situation donnée.Seuls les plus éclairés et les plus curieux iront chercher la contradiction pour élargir leurs pensées et y voir plus clair.Ceci n'étant pas inné,il est clairement dommageable que les médias de masse se contentent d'un travail peu élaboré et n'aillent pas chercher des sources bien plus fiables.Le cinéma,s'il doit ouvrir notre regard sur le monde qui nous entoure et nous interpeller en tant que citoyens de la mondialisation,ne doit pas prendre la responsabilité de remplacer notre éducation intellectuelle.
"Eaux Argentée,Syrie Autoportrait" fait donc acte de transmission.Héritage d'une longue et catastrophique guerre confessionnelle,le démantèlement du pays est le résultat douloureux d'un processus d'anéantissement méticuleux de Bachar El Assad.De confession alaouite,longtemps méprisé,torturé et chassé par le pouvoir sunnite en place,il s'était juré,à la suite de son père(Hafez El Assad) de rendre la pareille au mécréants.S'ajoutant à l'ardue cohabitation entre les deux fratries du fait de la domination macabre des seconds,son accession au trône suprême ne pouvait qu'accélérer cette scission(pour plus de précisions et de riveur,voir ce dossier de Courrier International:http://www.courrierinternational.com/article/2014/01/16/le-conflit-entre-sunnites-et-chiites-au-moyen-orient et celui-ci du Point:http://www.lepoint.fr/monde/sunnites-contre-chiites-pourquoi-les-musulmans-se-font-la-guerre-19-03-2013-1643068_24.php). Mais plus que ce passé si difficile,ce qui intéresse davantage le réalisateur est comment se réapproprier sa nationalité quand tout concourt à rendre apatride L'Humain dans une
Nation devenue inapte juridiquement.Qui ne sait respecter et valoriser son identité au point de l'anéantir ne peut aucunement se considérer comme patriote.Il ne suffit pas d'user de la persuasion et de la force pour affirmer son entité et les antécédents dictatoriaux tendent à nous le démontrer.Au moyens de vidéos amateurs et de petites caméras nous est alors montrée la pure abjection d'un Régime sans scrupules,éliminant la moindre contestation revendicative.Ce qui n'était au départ qu'une légitime aspiration démocratique à plus de liberté se change subitement en révolte populaire face à tant d'ignominies.Corps sans vies ensanglantés,sévices traumatisants et exécutions sommaires sont ici restitués sans filtres,avec une brutalité écœurante(une insistance peu opportune sur cette horreur dévitalise par ailleurs la force du propos). Choquant mais nécessaire pour nous secouer.Filmés caméra à l'épaule,ces séquences interpellent notre représentation du réel et nous fait reconsidérer avec vigilance la violence fictionnelle.
La maitrise de ces outils est encore plus rehaussée par la correspondance lumineuse qu’entretiennent le documentariste et son homologue restée au pays,fruit d'un dialogue permanent interrogeant avec acuité le présent incertain et l'avenir indéfinissable.Ou la mort fait partie intégrante d'un processus de réhabilitation et la peur n’empêche pas le courage.C'est aussi et surtout l'illustration que les pouvoir du cinéma et de l'imagination resteront toujours plus fort symboliquement que le sens de la vie.Agrémentées de chansons et de poèmes de L'Ancien Mythe Perse,ils accompagnent magnifiquement la traversée éprouvante des deux comparses.Nourri de références au cinématographe d'avant-guerre et à ses codes culturels occidentaux(Charlie Chaplin,Hiroshima Mon Amour,Edith Piaf),il frappe aussi par sa similitude avec des archives historiques des charniers et des pogroms de l'époque soviétique et nazie.Un champ lexical proche de la Solution Finale dont nous avait plus habitués jusqu'à présent les récits de Claude Lévi-Strauss et Primo Lévi.Signe que la barbarie prend aujourd'hui d'autres formes mais qu'elle reste bien présente à nos portes.