La plupart des romans de Patricia Highsmith sont cyniques, pervers et immoraux. Cette adaptation d'une de ses œuvres par Michel Deville est cynique, perverse et immorale. De côté-là, ce film est réussi.


Il mérite aussi des compliments pour la caractérisation des trois personnages principaux. Une femme-enfant, se comportant donc quelquefois comme une gamine, tout en étant à la fois une femme fatale nymphomane, n'hésitant pas à séduire les hommes en présence de son mari. Ce dernier a l'air placide face à cela (les apparences sont souvent trompeuses !), y éprouvant même du plaisir, car c'est à chaque fois une bonne occasion pour lui de menacer de mort, le plus poliment du monde, les amants. Et il y a leur petite fille, très éveillée pour son âge. À tel point qu'elle apparaît comme la plus mature de cette gentille famille nucléaire. Elle en est limite le véritable chef.


Point de vue distribution, Jean-Louis Trintignant et Isabelle Huppert sont excellents pour incarner ces époux peu conventionnels, aux esprits vraiment tordus. Le duo d'interprètes est très bien choisi. Il ne faut surtout pas oublier d'ajouter cela au crédit de ce film.


Maintenant, les faiblesses…


Michel Deville est un grand fan de musique classique et adore en foutre partout. Pourquoi pas ? Musique classique et cinéma forment la plupart du temps un couple harmonieux. Mais Deville n'est pas un Kubrick ou un Visconti. En conséquence, il n'a jamais été fortiche pour choisir les bons morceaux. Les compositions de Manuel de Falla ne provoquent que l'agacement en ne collant pas du tout au ton, à l'atmosphère. Elles font plus sortir de l'ensemble qu'elles n'y font y entrer. J'ai eu le sentiment qu'au contraire d'un metteur en scène passant des heures, des jours, des semaines, des mois à chercher et à chercher inlassablement quoi intégrer pour que la symbiose entre la BO et ce que l'on voit soit parfaite, Deville a choisi au pif un disque dans ses étagères.


Ensuite, les personnages secondaires sont totalement négligés, mal dessinés, alors qu'il y avait un beau potentiel. Je pense surtout à celui à qui Eric Frey prête ses traits, qui aurait pu, d'après les trop rares scènes dans lesquelles il se pointe, donner un contrepoint cinglant intéressant à l'impudence du protagoniste.


On peut aussi se demander pourquoi l'action se déroule spécifiquement à Jersey, puisque les particularités linguistiques et géographiques de cette île ne sont pas réellement exploitées. N'importe quelle ville côtière française aurait pu aussi bien faire l'affaire, sans que rien ne soit changé dans l'intrigue ou dans son cadre.


J'émets une remarque identique pour la profession du tueur joué par Trintignant. Il aurait aussi bien pu être architecte, avocat, médecin, dresseur d'ours au lieu de parfumeur, sans que rien en soit modifié.


Enfin, je veux bien que notre cocu ait un sang-froid de psychopathe (partant du principe qu'il en est un de toute façon !) pour ce qui est d'occire son prochain, qu'il le fasse avec une facilité et une audace déconcertantes. Mais ce n'était pas une raison de passer à côté d'un suspense et d'une tension qui auraient pu être formidables.


Dans cette optique, pour le crime improvisé dans la piscine, la caméra aurait pu se concentrer sur le futur assassin, attendant avec impatience le moment propice pour faire son coup. Pour celui près de son lieu de travail, le montrer en train de préparer son forfait aurait été un grand plus.


Là, quand il fait passer quelqu'un dans l'autre monde, c'est aussi intense que de voir un crétin gober des Smarties sur TikTok. J'ai vu beaucoup beaucoup mieux ailleurs niveau angoisse (ô euphémisme quand tu nous tiens !). Pour ne pas être encore plus chagriné par cet aspect trop gênant des choses, j'essaye autant que possible de ne pas penser à ce qu'aurait pu faire un Clouzot (quelques années plus tôt évidemment puisqu'il est mort en 1977 !) ou un Chabrol à la place.


Pour résumer, ce film est brillant sur certains aspects (caractérisation des personnages principaux, les comédiens, l'amoralité, la perversité, le cynisme d'ensemble !). Ce qui ne fait que rendre encore plus décevant que les autres ne soient pas du tout à la hauteur.

Plume231
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le 16 mars 2022

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