Ebola syndrome est souvent considéré comme le sommet voir le point de non-retour de la catégorie III propre à Hong Kong. Ce qui n'était au départ qu'une classification de films correspondant en gros à l'interdiction au moins de 16 ans est rapidement devenu un genre en lui-même dans lequel producteurs et réalisateurs vont s'engouffrer pour laisser libre cours à leurs penchants les plus horribles. Souvent produite avec des budgets réduits, les film de catégorie III sans connaître d'immenses succès au box-office à Hong Kong resteront globalement des entreprises souvent très rentables. Se rapprochant par certains aspects du cinéma d'exploitation, les films de catégorie III vont connaître au fil du temps une surenchère dans la représentation graphique de la violence, du sexe et de l'immoralité culminant peut-être avec ce Ebola Syndrome sorti en 1996. Le film est un hallucinant catalogue de la noirceur humaine mais il est aussi une comédie tordue très noire et parfois même assez jubilatoire, tout autant qu'un film profondément méchant, désespéré et sans appel sur la condition humaine.
Ebola syndrome nous raconte l'histoire de Kai un homme qui après avoir assassiné sa maîtresse, son patron et un homme de main se retire pour se planquer durant 10 ans en Afrique du Sud où il travaille dans un restaurant asiatique. En accompagnant son patron pour acheter de la viande à bas coût dans une tribu zoulou, Kai va contracter le virus Ébola en violant une femme noire inconsciente au nord d'un lac. Alors que le film nous explique qu'il existe une chance sur 10 million qu'un individu ayant contracté le virus ne tombe pas malade et devienne un porteur sain et donc un agent contaminant de la plus grande dangerosité, il faudra que ça tombe sur Kai qui est une espèce d'enflure de la pire espèce qui n'en a rien à foutre de rien et surtout pas des autres et qui deviendra par ce fait un virus ambulant à lui tout seul.
Alors que durant des semaines et des mois on nous a abruti de messages concernant les gestes barrières et la dangerosité du virus de la Covid, on se dit qu'il suffisait peut-être de mettre tout le monde d'accord et en vigilance rouge sang en diffusant en guise de spots publicitaires de prévention ce Ebola Syndrome quitte à traumatiser 90% de la population. Plus sérieusement Ebola Syndrome semble avoir été conçu comme un film qui va tellement jouer de la surenchère et de la provocation qu'il finit par atteindre un aspect presque parodique de la catégorie III en elle-même. Le réalisateur Herman Yau y va incontestablement très fort à l'image d'une première séquence d'une violence et d'une vulgarité sans nom. Par la suite le film nous embarque dans un voyage sans retour dans un monde fait de violences et de comportement déviants et immondes qui ne seront jamais nuancés ni contrebalancés par le moindre point de vue morale.. Inutile de dire qu'un film tel que Ebola Syndrome appartient définitivement à une autre époque et que par ses excès,la gratuité de sa violence, son absence totale de point de vue moral, sa vulgarité et sa méchanceté un tel film ne pourrait sans doute aucunement exister aujourd'hui. Sans faire le catalogue des atrocités proposées par le film ils est ici question de viols, de torture, de meurtre d'enfant, de cannibalisme, de racisme, de misogynie et peut-être plus généralement et tout simplement d'une détestation profonde de l'humanité tout entière. Dans cet ordre d'idées il faut voir le personnage principal cracher du sang et de la salive sur les passants en criant "Ebola Ebola" pour comprendre à quel point le film ressemble lui-même un crachat à la face de l'humanité tout entière.
Le film est porté par l'hallucinante performance de l'acteur Anthony Wong qui incarne ici peut-être l'une des pires ordures vue sur un écran, un personnage immonde avec lequel l'acteur semble énormément s'amuser, parvenant même à nous faire sourire par ses mimiques y compris lors des pires exactions qu'il commet sur l'écran. Si lors du prologue le personnage apparait comme un looser un peu pathétique et sans aucune estime de soit, il deviendra vite une forme d'excroissance de l'individualisme forcené qui n'en a plus strictement rien à foutre des autres comme si il traversait la vie tout entière avec le majeur bien tendu en l'air et une propension à laisser libre cours aux pires instinct des pulsions animales qui sommeillent encore tout au fond des hommes. Le personnage de Kai est raciste, misogyne, violent, crasseux, irresponsable et perpétuellement en révolte contre les autres. Il est ainsi capable dans un maelstrom d'immondices de se masturber dans un morceau de viande avant de le servir à des clients, de tenter de brûler vive une gamine, de violer une femme inconsciente, de pisser dans son froc, de transformer ses patrons en viande à hamburgers, de gober un oeil en l'aspirant sur sa victime et de se moucher dans les vêtements d'un grand magasin. Le genre d'individu irresponsable et fou furieux qui instaure immédiatement un climat bien lourd et malsain dans le sens ou il est capable du pire et même sans doute d'un peu plus.
Ebola syndrome se doit d'être réservé à un public des plus avertis, capable de faire la part des choses entre le cinéma et la réalité et surtout capable d'accepter un film qui ne propose strictement aucun point de vue moral à l'histoire abjecte qu'il raconte. Un film qui cherche à choquer et provoquer mais qui a été conçu pour le faire, un film qui mettra souvent mal à l'aise les spectateurs mais qui en a strictement rien à faire, pour au final s'imposer comme une comédie plus noire encore que les ténèbres. Le film est extrêmement violent proposant notamment une séquence d'autopsie des plus éprouvante et quelques scènes de violence animale non simulées avec des grenouilles décapitées, éviscérées et dépecées vivantes ou des poules dont on arrache la tête à mains nues. Des pratiques totalement (et finalement heureusement) impensables aujourd'hui.
Ebola syndrome est peut-être le pire et donc le meilleur film de la fameuse catégorie III , repère de tous les excès d'un cinéma hongkongais en fin de vie avant la rétrocession à la Chine en 1997. Peut être les derniers spasmes incontrôlés d'un cadavre en devenir laissant échapper sa frustration comme autant de fluides corporels bien dégueulasses. Est ce un hasard si vers la fin du film le personnage (et donc le virus) souhaite partir s'installer en Chine ??