Communisme vs Capitalisme = un serpent géant qui se mord la queue


Entre 1910 et 1920, le Mexique se souleva. Pendant 10 ans, son territoire fut ravagé par des bandits en maraude. Ces scènes étaient fréquentes, les factions luttaient entre elles pour rétablir l'ordre.



Critique Spoilers


Damiano Damiani réalise en 1966 un grand western italien sur la Révolution mexicaine avec El Chuncho, Quien sabe ? sur un scénario signé Franco Solinas. Un spectacle cynique à souhait qui se présente comme un tour de force qui mêle la réflexion au sensationnel autour d'un scénario aussi expressif que le sujet est saisissant. Une œuvre violente, cruelle, puissante et engagée dans la critique d'un cinéaste qui nous plonge dans les mécanismes de la contre nature humaine par un principe de réalité qui met en opposition mais aussi en communion le capitalisme et le communisme à travers deux personnages, '' Chuncho (Gian Maria Volonté) '' et '' Bill Tate dit Nino (Lou Castel). '' Un manifeste éclairant de l'histoire humaine véhiculé par une écriture subtile qui trouve sa puissance sur la durée par son imprévisibilité et sa conclusion déroutante et pourtant logique lorsqu'on se penche avec attention sur le réel message dressé par Damiano Damiani. El Chuncho va bien plus loin que le film humaniste engagé pour la cause humaine à travers la Révolution, il pose avant tout une critique du communisme par le prisme du capitalisme qu'il met dans une même case.


Damiano Damiani pose le communisme comme un système social qui permet d’abolir le féodalisme, en libérant politiquement les pays des influences et en introduisant une transformation sociale par des réformes et l’abolition des privilèges et la généralisation de l’éducation, du travail (en gros, l’égalité entre les gens par une emprise collective), de regagner l'indépendance économique et politique pour reconstruire et se développer pour devenir le modèle commun pour tous. Un mouvement pervers qui deviendra inéluctablement en se développant et en s'imposant le nouveau capitalisme. Sans le savoir, l'ensemble des acteurs de ce changement posent les bases pour le développement futur d’un système qu’ils croyaient combattre. Ce sont ces régimes qui, à leur tour, ont tracé la voie pour le développement d’un capitalisme. Un constat implacable et amer que dresse le cinéaste telle une farce noire symbolisée par un serpent géant qui se mord la queue.


Chuncho par Gian Maria Volonté, en tant qu'ancien Révolutionnaire devenu mercenaires s'enrichit en servant la cause en vendant des armes appartenant aux victimes des soldats qu'il élimine par centaines avec son unité.
Bill Tate dit ''Nino'' par Lou Castel, est un assassin/chasseur de primes au service du gouvernement en place qui pour remplir son contrat, à savoir éliminer le chef des Révolutionnaires, va intégrer l'unité de Chuncho et prendre les armes contre l'ordre actuel afin de se rapprocher de son objectif.
Deux hommes diamétralement opposés par le statut qu'ils incarnent, entre l'un qui est dans l'âme un fervent communiste dévoué à la cause de participer au collectif ; et l'autre individualiste qui ne pense qu'à son enrichissement personnel en exploitant les hommes. L'un servant la cause Révolutionnaire, l'autre le système en place. Pourtant les deux hommes vont devenir amis et cette amitié va laisser transparaître l'incompréhension et la contradiction que chacun d'eux incarne, entre Chuncho qui dit et pense réellement servir la cause humaine mais qui pourtant fait depuis le départ tout cela que pour s'enrichir personnellement, et Bill Tate dit ''Nino'' qui ne veut que remplir sa mission et qui pourtant va finir par s'engager émotionnellement avec Chuncho en le sauvant et en partageant la prime de son contrat.




  • Raimundo, vous voulez me tuer ? Pourquoi ? Il doit y avoir une raison. Seulement parce que je suis riche ?

  • Non, parce que nous sommes pauvres.



Deux faces opposées qui depuis le début ne sont que les deux faces d'une même pièce. Une pièce centrale que pointe tout du long le cinéaste et qui dans sa conclusion trouvera son sens. Un final durant lequel Chuncho rejoint Nino qui l'attendait à l'hôtel pour lui donner sa part en or (alors que rien ne l'obligeait vu qu'il était au courant de rien) pour finalement lui proposer de le suivre en Amérique, chose qu'il accepte en changeant au passage son look pour devenir conforme à cette nouvelle vie d'homme riche. Le communisme devient le nouveau capitalisme. En s'apercevant de cela, Chuncho alors prêt à partir ressent comme un malaise qu'il n'arrive pas à extérioriser mais auquel il finit par répondre par un geste de folie durant lequel il abat froidement Nino, complètement anéanti par ce choix illogique.
- Tu as été un vrai ami. Mais je dois te tuer.
- Tu recommences ?
- Non, je finis.
- C'est ridicule, je t'ai enrichi. Pourquoi veux-tu me tuer ?
- Je dois le faire.
- Mais pourquoi ?
- Va savoir...
- Pourquoi me tuer ?
- Va savoir...
- Tu dois bien savoir pourquoi !
- J'ignore pourquoi, mais je dois le faire !
Un acte final impitoyable auquel Chuncho répond par un rire de dépit qui traduit toute la tragédie et la fatalité de cet acte qui n'est qu'alors que la seule chose à faire pour mettre un terme à ce cercle sans fin symbolisé par un capitalisme qui n'est depuis le départ qu'un communisme grimpant. Il abandonne le corps sans vie de Nino en laissant par là même l'or pour un mendiant auquel il ajoute une ultime phrase qui pose le mot de la fin : '' N'achète pas du pain, mais de la dynamite ! ''


Moralité : Sous le capitalisme, les gens ont davantage de voitures. Sous le communisme, ils ont davantage de parkings. La réponse de Chuncho est de finalement tout faire exploser pour que seul reste l'homme, libéré de toute cette complexité.


En ressort un film mélancolique, philosophique, désenchanté, rugueux et sauvage illustré par des dialogues savoureux et des fusillades acharnées avec des hommes qui tombent comme des mouches. De fortes séquences viennent absorber le spectateur comme avec l'implacable scène d'ouverture avec un train obligé de s’arrêter car un soldat est attaché sur la voie, les deux infiltrations dans les camps ennemis, l'élection du nouveau chef du village San Miguel, la première utilisation de la fameuse « déesse de la mort » (mitrailleuse) qui obnubile tant Chuncho, ou encore durant la révolte du peuple qui demande l'exécution du riche propriétaire Don Felipe qui a commis pour seul crime d'être riche alors que les autres sont pauvres.Techniquement il y a du niveau, la mise en scène est soignée avec une maîtrise des décors tout à fait surprenante. L'histoire se passe dans le Nord du Mexique bien que le film fût tourné dans le désert d'Almeria en Espagne, c'est pourquoi le cinéaste use de trompes œil plutôt efficace en jonchant son désert de cactus Saguaro en papier mâché afin de mieux coller avec la région des cactus géants où l'action est censée se passer. Une grande réussite ! La musique bien que discrète fait un bon taf en étant en parfaite harmonie avec le ton du film. Une composition musicale sur fond de musique mexicaine signée Luis Enriquez Bacalov associé à Ennio Morricone comme superviseur musical.


J'aime beaucoup l'ambiguïté de Gian Maria Volonté qui joue avec une grande subtilité en offrant une performance incroyable dans laquelle le comédien disparaît totalement pour ne faire qu'un avec son personnage. Un rôle endiablé qui saisit le spectateur pour ne plus le lâcher jusqu'à ce que retentisse le générique de fin sous une chanson formidable du comédien. Luigi Castelato alias Lou Castel en tant que Bill Tate dit El Nino, est beaucoup plus froid et inexpressif mais offre une complémentarité efficace auprès d'un Volonté qui scintille de mille feux. Un excellent duo à l'origine de nombreuses séquences cultes. Klaus Kinski dans le rôle d'El Santos, le frère de Chuncho, est génial en tant que curé Révolutionnaire à moitié simplet mais littéralement habité par sa quête. Beaucoup d'excellents personnages gravitent autour de ce film comme Pedrito par Valentino Macchi, Pepito par Guy Heron, ou encore Raimundo par José Manuel Martin. Pour autant, la comédienne Martine Beswick en tant qu'Adelita, femme combattante d'une beauté à couper le souffle, fait partie des plus emblématiques.



CONCLUSION : ##



Avec El Chuncho, Quien sabe ?, Damiano Damiani démontre que son western traité avec intelligence n'est pas comme les autres en posant une créativité et une ambition authentique d'une richesse étonnante dans l'écriture et dans la mise en scène qui seront à l'origine d'une fable humaine cynique, désenchantée, philosophique, mélancolique et impitoyable. Une puissance dans les thématiques qui fait frissonner et offre une distribution aux talents incroyables avec un Gian Maria Volonté monstrueux tant il est possédé par son personnage.


La grande révolution dans l'histoire de l'homme, passée, présente et future, est la révolution de ceux qui sont résolus à être libres.




  • Chuncho. Je ne te comprends pas. Tu perds ton temps avec les autres.

  • Avec qui ?

  • Moi, par exemple. Tu pouvais partir et prendre l'argent des armes.

  • C'est que... j'aime pas travailler seul.


B_Jérémy
9
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le 10 févr. 2022

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