L’être humain n’aime rien tant que de classer êtres et choses dans des boîtes, ça le rassure ; c’est donc tout naturellement que comme pour tout le reste, le cinéma est saucissonné en diverses catégories, et c’est ainsi qu’on hérite de la case «nouveau cinéma argentin». Avec son premier film Mundo Grua , film en noir et blanc sorti en 1999 et adoubé par les critiques, Pablo Trapero est généralement estampillé comme le précurseur de cette nouvelle vague argentine.


Depuis, ce cinéma est passé toutes les couleurs : par l’étrangeté de Lucrecia Martel (La Ciénaga, La sainte fille), par le minimalisme poétique de Carlos Sorin (Historias minimas ou encore l’inoubliable Bombón el perro), ou encore par la rigueur de Lisandro Alonso (dont le récent Jauja en est un exemple parfait), pour reboucler sur Pablo Trapero, le cinéaste argentin le plus en vue ces dernières années (Carancho, Elefanto blanco, puis aujourd’hui El Clan).


Ce pays hybride, le plus européen de toute l’Amérique du Sud, théâtre de violents évènements dans bien de domaines (militaire, politique, socio-économique) est le terreau idéal pour faire éclore des histoires qui sortent de l’ordinaire. Les nouveaux Sauvages de Damián Szifron l’ont encore montré tout récemment. Pablo Trapero, lui, aime à capturer plutôt des sujets sociétaux pour en faire des films à forte dimension spectaculaire. Dans Carancho, il mettait en scène un de ces avocats véreux qui surfent sur la vague des accidentés de la route et de leurs juteuses assurances. Dans Elefanto Blanco, il dénonce le scandale de cet énorme bidonville à ciel ouvert de Buenos Aires au travers de l’histoire de deux prêtres engagés à la cause de mal-logés, dans un film qui déjà, montrait son appétence pour les images fortes et le romanesque quelque peu grandiloquent.


El clan n’est en rien différent. Cette fois-ci, c’est un fait divers qui lui sert de matériau, l’histoire de la famille Puccio dont le patriarche Arquimedes (Guillermo Francella) organise le kidnapping de gens fortunés qui ont le malheur de croiser sa route. Situé dans les années 80, à la jonction des juntes militaires successives et de la résurgence de la démocratie en Argentine, le récit met en avant la désorganisation que ce genre de changement violent occasionne et permet. Arquimedes est un cacique du pouvoir, barbouze notoire ayant déjà trempé dans divers enlèvements de nature politique, au travers de terribles opérations telles l’operation El condor de sinistre mémoire qui a abouti à l’assassinat de nombreux dissidents politiques sud-américains. Le point de vue est celui d’Alex (Peter Lanzani), rugbyman adulé,un de ses fils au dessus de tout soupçon, entraîné dans cette folie sans savoir sur quel pied danser.


Pablo Trapero joue sur la juxtaposition de la vie domestique heureuse et tranquille du clan, une famille bourgeoise de Buenos Aires avec à sa tête l’impénétrable Arquimedes, un homme reptilien dont le regard perçant tétanise ses 5 enfants, et les diverses exactions perpétrées par le même, aidé de ses complices, mais surtout de ses fils. Le cinéaste fait constamment le va-et-vient entre ces deux mondes, au risque de la répétition. Il est glaçant de voir combien la famille d’Arquimedes, en particulier ses filles et sa femme qui ne participent pas à ces actions sont dans un déni énergivore qui frise la pathologie et de fait, le film n’est jamais aussi émouvant que lors de ces scènes où enfin le non-dit se fissure et où l’un ou l’autre des enfants arrive à émettre une voix discordante. La manipuation du père est terrible, basée sur une culpabilisation de ses enfants. Contrairement à ce qu’on a pu voir dans Canine de Yorgos Lanthimos, ou encore dans Elève libre de Joachim Lafosse, où l’adulte pervertit le monde référentiel avec de nouvelles règles sournoises, la manipulation psychologique est ici assez frontale, directe et dictatoriale à l’instar du régime totalitaire qui fut celui du pays. Ici, les enfants n’ont peur que de leur père et des représailles.


La juxtaposition est le maître-mot du film. Juxtaposition pour une des séquences marquantes d’El Clan, ce montage alterné entre d’une part le kidnapping et l’enfermement dans la cave familiale d’une des victimes (la dernière en réalité), et d’autre part une scène sexuelle entre Alex et sa petite amie : mise en parallèle des coups de boutoir, mise en parallèle des cris/ hurlements/râles, un procédé qui pourrait prêter à confusion…


Juxtaposition encore pour un film composé de flash-backs et de temps présent qui amène une dynamique dans le rythme d’un film aux actions répétitives. Le film s’ouvre sur l’arrestation d’une partie du Clan, pour revenir ici et là aux évènements qui les ont conduits à cette issue.


Juxtaposition enfin pour une utilisation de la musique qui donne par ailleurs de faux airs scorsesiens à son film, associée à la violence des rapts et des exécutions perpétrés par Arquimedes et ses sbires (Sunny Afternoon des Kinks, ou encore Just a gigolo de David Lee Roth).


Finissant comme il a commencé, dans une ambiance électrique et gonflée, El Clan est un film maîtrisé par son réalisateur, mélangeant une ambiance de gangster-movie aux réalités d’un film politique qui convoque les démons dont l’Argentine a encore bien du mal à se défaire. Mais tout comme on l’a constaté avec Denis Villeneuve et son Sicario, Pablo Trapero devrait faire attention à ne pas succomber à la surenhère en proposant des films de plus en plus maniérés qui l’éloignent de sa sobriété initiale.

Bea_Dls
7
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le 14 févr. 2016

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Bea Dls

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