Le dernier film de Pablo Larrain surprend par la crudité de la violence qu’il met en jeu, sans trop de fioritures, sans artifices. Mais ce qui fait la force de l’effet sur le spectateur, c’est notamment le fait que Pablo Larrain procède à travers son œuvre à un puissant renversement des valeurs qui laisse son spectateur, pour peu qu’il veuille bien se laisser perdre dans la crise que le film met en images, muet.
Le film s’appuie sur une esthétique cohérente qui n’éclipse pas son sujet, mais qui y est parfaitement adaptée. L’image elle-même notamment est à mettre en lien avec une imagerie religieuse : sobre, sans éclats, avec des effets de contreplongée et de plongée qui évoquent l’iconographie christique, ou la reprise imagée de topoi catholiques comme Jésus portant la croix ou plus simplement la confession. Paradoxalement, ces images s’appliquent pourtant à des religieux coupables d’actes pas très catholiques, si on me permet l’expression : il s’agit de criminels retranchés par l’Eglise dans une maison de pénitence, maison qui donnera lieu notamment à une dialectique de l’intérieur et de l’extérieur tout au long du film.
Cette esthétique sert le coup de force majeur du film, qui opère à travers la construction paradoxale d’une empathie du spectateur pour des hommes que l’on nous présente pourtant comme exécrables et dont l’immoralité est assénée tout au long du film à travers la crudité des paroles et le poids pesant des silences : le personnage du père Ramirez illustre d’ailleurs bien l’absurdité de la situation. La situation que l’on serait en droit d’attendre est complètement retournée : là où on pourrait s’attendre à détester ces prêtres, surtout les coupables de pédophilie, le personnage qui apparaît malgré nous le plus antipathique, c’est bien le directeur spirituel venu les amener à se confronter à leurs crimes. A l’opposé, le personnage, si je puis dire, auquel le spectateur est susceptible de s’attacher le plus, c’est Eclair le lévrier : le film met en œuvre aussi une dialectique de l’homme et de l’animal, qui donne lieu à un renversement. Les animaux font preuve d’une innocence que l’on ne trouve chez aucun personnage du film, sinon une innocence quelque peu entachée chez Sandokan, le marginal ayant été abusé enfant, qui se rapproche également de l’animal. On voit une certaine ambiguité dans la construction des personnages, qui nous restent étrangers car ils nous restent secrets.
On concluera sur cette aura de mystère et de malaise, qui frappe le spectateur par des pointes de violence crue, et qui de manière générale, dérange parce que la mise en scène ne fournit aucun repère et presque rien à quoi se raccrocher, sinon au fait que le film se cantonne tout de même à un propos particulier, à un lieu particulier, ce qui fait office de bouée de sauvetage dans le naufrage général des valeurs, qu’elles soient religieuses ou de morale laïque. Pablo Larrain s’attaque ainsi aux dogmes, aux valeurs, à toutes les certitudes, avec brio.

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le 13 nov. 2015

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