El Reino est dur a aborder, car ce qu'il raconte est la fuite d'un homme qui essaie de ne pas perdre pied dans son propre monde.
Manuel Lòpez-Vidal est un homme politique influent, en pleine ascension dans sa région, qui va se retrouver impliqué dans une affaire de corruption qui menace l'un des membres de son parti.
La première séquence annonce la perte de ce fragile équilibre : dans un plan-séquence en hommage à Scorsese, Manuel rejoint ses amis à la table d'un restaurant. Si l'ambiance se veut bon enfant et conviviale, les regards dissimulés et les sourires crispés sont là.
Avec cette séquence comme point d'appui, le film enclenche la deuxième, pour proposer un autre genre que celui attendu par le spectateur. Le film ne sera pas un Rise and fall classique, mais un Survival moderne, qui dépeint sans détour la corruption d'une politique espagnole.
L'engrenage se met alors en place. Le personnage est pris au piège, et va devoir porter le chapeau pour son parti et bien plus.
Avec une caméra épaule et une âpreté physique, Rodrigo Sorogoyen dissèque ses personnages, et révèle la valeur de chaque geste, chaque mouvement, dans un monde où le langage est lui-même corrompu. Le hors-champ devient un danger pour l'équilibre que tente de préserver notre personnage angoissé, un équilibre où chaque ami peut devenir un potentiel ennemi pour Manuel.
La musique, travaillée comme une machine, électronique et rythmée, laisse baigner les personnages dans une atmosphère abstraite, superficielle. C'est en cela qu'El Reino innove : le monde politique évoluant dans une sphère où la réalité du quotidien est dissoute jusqu'à en devenir invisible, son apparition devient alors insupportable pour ces rois. Tout est labyrinthique, et Manuel semble perdu dans une partie d'échec perdue d'avance.
Dans cette course poursuite, tout le cinéma semble convoqué pour donner une valeur à l'image : L'ouverture comme hommage aux Affranchis, la séquence de braquage dans cette maison géométrique avec la fluidité du cinéma de Fincher, la caméra physique des Frères Dardennes et la dernière demi-heure dans une sorte de culte à Network.
C'est dans sa dernière partie que le film marque alors un coup d'essai.
Les informations abondent, s'additionnent, les images deviennent malléables, et le personnage comme le spectateur se retrouvent face au monde et à eux-même. Son destin devient alors scellé, manipulé.
Il ne reste plus qu'au seul maître à bord, le réalisateur, de "couper le courant", et de laisser le spectateur sous le choc, anesthésié.
Le royaume est souillé, le roi dépouillé, et le monde continu de tourner. Et il sera pessimiste, désenchanté, sans concession.