Librement inspirée de récents scandales ayant secoué la péninsule Ibérique (affaire Gürtel), la nouvelle fiction de Rodrigo Sorogoyen ne s'embarrasse pas d'analyses amphigouriques sur le paysage politique. Il ne s'agit pas ici d'une enquête visant à révéler les germes d'un pourrissement aujourd'hui généralisé. Mais plutôt une étude accélérée de ses effets sur les porteurs. Être un politicien vertueux c'est du boulot, alors imaginez politicien véreux...
Sans faire de cynisme, on se rend compte des efforts déployés par les vermines au moment où tout commence à s'effondrer pour elles. Manuel López-Vidal, l'anti-héros d'El Reino, appartient à cette catégorie. Malheureusement pour lui. Heureusement pour nous. Sa carrière dans la corruption politique va se heurter à un mur des plus solides : la vérité. Et comme beaucoup hommes qui s'y retrouvent confrontés, Manuel va tenter de le traverser. Donc appliquer tout ce qu'il a appris dans cette vie d'infractions : prendre les coups bas, se préparer à en donner, tenter de survivre,...Un job de dingue, je vous ai dit !
Et la caméra de Sorogoyen ne va pas y aller à moitié. López-Vidal est constamment en mouvement, signe d'un combat qu'il livre à temps-plein contre tout ce qui l'environne (collègues devenus cafeteurs, journalistes devenus juges, amis devenus bourreaux). Alors la réalisation de Sorogoyen va s'échiner à le suivre. Avec un sens du montage hallucinant et une composition des plans démente (les steady cams, couplées au objectifs grand-angle, sont fulgurantes), sans oublier la musique entêtante d'Olivier Arson, El Reino nous offre une poussée d'adrénaline de deux heures ininterrompue. Il y a une rage communicative et ce règlement de comptes envers les pourris sans intégrité ni idéaux (il faut voir les personnages incapables de répondre à la question "pourquoi vous faites de la politique?"). Et tout cela converge sur une dernière demi-heure inoubliable (je pèse mes mots) Trois scènes d'une parfaite maîtrise qui pousse la tension à son paroxysme tout en synthétisant parfaitement la situation de son protagoniste principal. Se tapant contre les murs et portes pour s'en sortir, contraint de voyager dans le noir comme ses ennemis, et finalement obligé de regarder son auditoire dans les yeux alors qu'il est enfin débarrassé de ses oripeaux. Le genre de film qui vous laisse une impression durable : celle que rien ne sera réellement résolu au bout du compte, mais que tout ne pourra pas continuer comme avant. Et pour le moment, c'est déjà plus que bien.