Le lâche, la traîtresse, et les culs-de-jatte.
Par une douce nuit d’été, assis autour d’un feu, mes quatre amis et moi, moi, une bouteille de smirnoff dans ma main gauche et un sabre dans l’autre, mes quatre amis les genoux attachés au sable, la tête attachée aux rochers afin de les empêcher de se la cogner contre les genoux.
Vous l’aurez compris, je me préparais à leur présenter la folle magie du conte Jodorowskien qu’est El topo. Et je le fis.
Ce fut compliqué, le volume de ma bouteille diminuait à mesure que le récit s’enfonçait dans les plus profondes abîmes de l’absurde, mes doigts de pied tremblaient, mes yeux viraient au vert en passant par le rouge, mes amis criaient. Et ce fut enfin fini. Mon long monologue turbulent laissa place au seul bruit des vagues. Une heure de silence suivit avant que je décide de laisser partir mes amis, qui depuis la fin de mon récit, me regardaient comme un crapaud à qui on à voler sa mouche. Ils partirent donc dans quatre directions différentes, me laissant là, seul sur la plage à méditer.
Penser toute la nuit à ce joueur de flûte perché sur les rochers, à ces quatre maîtres du désert aussi futés que des larves, à la copine de notre pistoléro qui finit par le tromper avec une meuf, à cette tribu de cul-de-jatte, et même à ce shérif obèse qui semble organiser une leçon de domptage humain dans sa maison. Tant d’idées m’ont donc amené à avoir mal au crâne, et ce mal de crâne m’a inévitablement conduit à piquer du nez.
Evidemment le matin je fus réveillé, non seulement par la marré montante, mais également par les sirènes des flics venus pour m’arrêter. Je fus donc arrêté, mis en garde à vue et maintes fois questionné. A la suite d’un énième interrogatoire musclé, ces deux poulets pensaient m’avoir convaincu que cette histoire « d’El Topo » n’était qu’un ramassis de conneries, imaginé par un cinglé, et que je pouvais m’estimer heureux de pas aller en taule ou de me faire interner.
« M’estimer heureux », je ne sais pas, ce sont plutôt eux qui devraient s’estimer heureux de ne pas avoir vu le rendu que pouvais avoir un tel « ramassis de connerie » à l’écran.
Et, vous savez quoi ? Ce film me hante depuis si longtemps que je commence à l’apprécier, cette folie s’est peut être trouvé une petite place dans mon cerveau, sans pour autant qu’elle m’éclaire sur ce que Jodorowski voulait me dire.
23/04/2034, 20 ans après le visionnage d’El Topo.